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Notes sur la signification et l'usage des calebasses-trophées, recueillies le Dr. Debarge auprès de son informateur et pourvoyeur de pièces Mose Yeyap.

Nota Bene : Lorsque le Dr. Debarge s'installe en pays bamun, le souverain sur le trône vient de se convertir à l'islam et devient donc « sultan », terme dont elle use dans son récit avec anachronisme pour qualifier les rois ancêtres du sultan Njoya.

« Une curieuse coutume des Bamouns, vieille d'une centaine d'années environ, voulait que lorsqu'un guerrier avait abattu un ennemi à la guerre il rapportait au sultan l'oreille de l'ennemi tué. Mais cet usage ne dura pas car l'oreille arrachée se décomposait vite. Cette coutume fut remplacée par une autre : celle de rapporter au sultan la mâchoire inférieure de l'ennemi tué.

Lorsque deux indigènes s'étaient prêté main forte pour tuer un ennemi, le premier rapportait la mâchoire, le second rapportait le crâne au sultan. Ces deux guerriers échangeaient leur sabre sur le champ de bataille. Cet échange était un témoignage de l'aide réciproque qu'ils s'étaient donnée lors du combat.

Comme il arrive fréquemment dans les tribus noires africaines, la guerre est suivie de copieuses libations, chants et de danses.

La danse de la victoire Ngou chez les Bamouns ne peut être exécutée que par les guerriers qui ont tué et par leurs femmes. Les guerriers qui n'ont pas tué rythment la danse de leurs chants. Les danseurs, ou leurs femmes, portent, suspendue en collier, la mâchoire de l'ennemi tué.

Ces danses de victoire qui ont lieu dans la ville où siège le sultan et auxquelles celui-ci assiste, peuvent durer un ou deux mois. Lorsque la fête touche à sa fin, le sultan récompense les guerriers : à celui qui a rapporté le crâne il donne 15 ou 20'000 cauris, soit la moitié de la dote d'une femme. Si la guerre a été particulièrement difficile l'homme qui a rapporté la mâchoire reçoit deux femmes.

La fête terminée, les récompenses distribuées, les participants retournent à leurs villages respectifs. Là, le sorcier prend possession des mâchoires qu'on lui apporte, et les lie à la calebasse appelée kakua.

Deux fois par an, le sultan réunissait ses guerriers et de chaque village on apportait la kakua. Ces réunions étaient l'occasion de fêtes et les kakua, assemblées les unes à côté des autres, en deux rangs, étaient aspergées du sang d'un mouton tué à ces fins. Ce sang versé sur les mandibules des ennemis, est destiné à aveugler l'ennemi lors de la prochaine guerre. Ce sang présage également que beaucoup de sang humain devra couler à la guerre future.

Lorsqu'on se réunissait pour se rappeler les souvenirs de la guerre, ou pour préparer la guerre prochaine, on apportait la calebasse. Elle était remplie de vin de palme que, seuls, ceux qui avaient tué un ennemi avaient le droit de boire.

Lorsque la kakua destinée à la collectivité était suffisamment recouverte de mandibules, chaque guerrier avait le droit de posséder lui-même une telle calebasse-trophée, qui, alors, lui appartenait en propre. Cette dernière, appelée toungou est plus petite que la kakua. Sur cette toungou sont suspendues non seulement des mâchoires inférieures, mais aussi les amulettes du guerrier. Celles-ci, placées à côté de la mandibule, devaient le préserver de la vengeance de l'esprit de l'homme qu'il avait tué. (…)

Sur certaines kakua on remarque un crâne de mouton. La présence de ce crâne signifie qu'un des premiers du village auquel appartient la kakua a, en même temps que le sultan lui-même, tué un ennemi. Le guerrier est très honoré d'avoir accompli cet acte et recevait en récompense soit un village où se trouvaient beaucoup de captifs, soit un objet européen, le plus souvent un vase : une chope munichoise ornée de figurines (!).

Le sultan, de son côté, possédait sa propre kakua sur laquelle il attachait aussi les mandibules des ennemis tués par ses serviteurs. »

Extraits des notes du Dr. Josette Debarge, publiées par Marguerite Dellenbach dans « Une calebasse-trophée utilisée dans la magie guerrière chez les Bamouns (Cameroun) », un article paru en 1931 dans la revue L'Ethnographie.


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