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Objet Portfolio

Les restes humains

Cadre théorique et légal

Depuis une quarantaine d’années, l’acquisition, la détention et la présentation de restes humains dans les musées posent problème. Sous ce terme se trouvent différents types de dépouilles: des corps entiers (des squelettes et des momies), des objets intégrant des ossements isolés, mais également des éléments (ongles, peau, et surtout cheveux) qui ne renvoient pas directement au corps humain selon notre vision européenne, mais qui le font dans d’autres cultures. En tant que restes corporels, ces matériaux conservent leur essence humaine.

Certains peuples autochtones contestent la présence de restes humains dans les collections muséales et réclament leur restitution, de même que celle d’objets considérés comme des éléments essentiels de leur patrimoine. Conscients des enjeux politiques, identitaires, culturels et sociaux qui se jouent à travers la représentation muséale de leur culture, ils ne veulent plus être de simples spectateurs, mais des acteurs qui revendiquent leur droit à la parole, sur eux-mêmes et sur leur patrimonialisation. Ceci est le résultat des mouvements des peuples autochtones qui, à l’issue de la décolonisation, ont voulu exercer un véritable contrôle sur leur image et sur les discours qui les présentent.

Suite à ces revendications, un certain nombre de pays, en particulier des pays anglo-saxons, ont redéfini et adapté leur législation pour répondre aux demandes de restitution, pour proposer des pratiques responsables vis-à-vis de la gestion des restes humains et pour permettre aux musées et aux communautés autochtones d’entamer des échanges et des collaborations.

Aux États-Unis, par exemple, une loi fédérale, la Native American Graves Protection and Repatriation Act (NAGPRA) adoptée le 16 novembre 1990, a reconnu le droit aux populations autochtones de réclamer le retour des restes humains et de certaines catégories d'objets pour lesquels elles peuvent établir la propriété ancienne ou l’ascendance.

En Australie, un rapport dont le titre souligne bien les enjeux, Previous Possessions, New Obligations: Policies for Museums in Australia and Aboriginal and Torres Strait Islander Peoples a été publié par le Council of Australian Museum Associations (CAMA 1993). Révisé en 2005 sous le nom de Continuing Cultures, Ongoing Responsibilities, ce document reconnaît le droit à l’autodétermination des premiers peuples d’Australie concernant leur héritage culturel. Il propose un nouveau code éthique pour guider les musées dépositaires de collections ethnographiques dans leur travail et vise à fonder de nouveaux partenariats entre les institutions muséales et les populations autochtones. À la suite de la consultation de représentants aborigènes, certains objets et certains restes humains ont été exclus de la présentation au public après avoir été reclassés par les communautés sources comme «culturellement sensibles».

Au Royaume-Uni, dès la fin des années 1990, un travail de réflexion a été entrepris sur les mêmes questions. En 2004, le Human Tissue Act a été voté pour permettre aux musées de considérer les demandes de retour des restes humains. En 2005, la publication du Guidance for the Care of Human Remains in Museums, un guide sur le traitement des restes humains dans les collections muséales, a défini les critères à prendre en compte dans l'examen des demandes de restitution: la position de ceux qui sont à l'origine de la demande, le sens culturel, religieux et spirituel des restes humains concernés, leur âge, la façon dont ils sont entrés dans les collections, leur statut dans l'institution muséale, leur valeur scientifique, historique ou éducative, l'usage qu'ils ont pu avoir dans le passé, leur devenir en cas de restitution, les éventuelles alternatives à la restitution, etc.

Il faut mentionner également le code de déontologie de l'ICOM (Conseil international des musées), révisé en octobre 2006, qui fixe des principes généraux sur lesquels la communauté muséale internationale s'est accordée. À propos des restes humains, il déclare que les musées peuvent les conserver et les présenter, tout comme les objets «sensibles», mais à certaines conditions, et qu’ils soient «présentés conformément aux normes professionnelles et tiennent compte, lorsque ceux-ci sont connus, des intérêts et croyances de la communauté, du groupe ethnique ou religieux d’origine, avec le plus grand tact et dans le respect de la dignité humaine de tous les peuples» (ICOM 2006: 4.3). En cas de désaccord, les demandes de retrait de l’exposition par les communautés d’origine doivent être traitées «avec diligence, respect et sensibilité» (ICOM 2006: 4.4).

Les restes humains dans l'exposition permanente du MEG

Au 19e siècle, les restes humains ont été collectés pour expliquer l’évolution de l’homme par le biais de l’anatomie comparative. Des objets contenants des éléments humains furent collectés dans des situations d’inégalités telles que les pillages, les trafics illicites et les vols. Aujourd’hui, dans les musés d’ethnographie, il en reste peu, mais suffisamment pour que le problème puisse se poser. Au cours des dernières années, les demandes de restitution des têtes momifiées maori (toi moko) ont défrayé la chronique internationale. Le MEG, par exemple, avait dans ses collections une tête momifiée qui a fait l’objet d’une demande de restitution. Prêtée de manière permanente au Museum of New Zealand Te Papa Tongarewa, en 1992, elle a été officiellement rendue en 2014.

Dans l’exposition permanente du MEG sont présentés plusieurs objets constitués totalement ou partiellement de restes humains. Leur présence se justifie par l’aspect fondamental de leur usage rituel et parce qu’elle fournit des clés de lecture pour comprendre leur culture d’origine. Dans un souci de transparence, ces pièces sont accompagnées d’explications sur leur signification, leur fonction, leurs conditions d’acquisition et sur le contexte d’utilisation.

Le MEG s’est efforcé d’avoir une attitude proactive plutôt que réactive en évitant de présenter les pièces ethnographiques contenant des restes humains des communautés qui se sentiraient offensées par une telle démarche. Cependant, compte tenu des changements et des discussions en cours dans ce domaine si délicat, ce qui est considéré aujourd’hui comme acceptable pourrait ne plus l’être demain. Le Musée est donc prêt à entrer en discussion sur un plan d’égalité avec les communautés dont sont issus les restes humains. Cet acte symbolique, exprimant le respect que l’on doit aux peuples autochtones, correspond à la démarche éthique que le MEG veut poursuivre.

Bibliographie


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