Reumann, Helge (Uster/Suisse, 1966)

Auteur de bandes dessinées, de dessins de presse ou d'illustrations, Helge Reumann a longtemps collaboré avec une autre figure essentielle de la bande dessinée indépendante à Genève, Xavier Robel, sous le nom d'Elvis Studio. Basée sur un intérêt commun pour « les formes d'expression extrêmes et décalées », leur collaboration à 4 mains dure de 1996 à 2014 autour de projets ouverts à d'autres dimensions (« Elvis Road », notamment, un leporello-cadavre exquis de 9 mètres de long). Helge Reumann est resté sensible et fidèle à toutes formes d'expérimentations, dans une vision et une conception plus larges du médium ; depuis quelques années son dessin devient également tableau, installation, objet et univers sonore, dans un même esprit perturbant et perturbateur.
Comment définir l'étrange fascination suscitée par les dessins d'Helge Reumann ? C'est peut-être « l'entre-deux » qui sonne ici le plus juste, entre, d'une part, l'attirance du spectateur face à une ligne claire, nette, précise, minutieuse, à des perspectives rigoureuses, soigneusement maîtrisées en lignes de fuite, à des compositions d'une extrême acuité et, d'autre part, le trouble provoqué par la représentation d'un monde déconcertant, d'une extrême tension, à la violence sourde ou explicite, par l'image d'un monde décalé où l'interprétation ne repose pas. Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si le terme d' « inquiétante étrangeté » revient si souvent au sujet de ce dessin, une lisibilité douce et une application minutieuse du trait mis à mal par l'attribution dérangée d'un sens aux formes et aux sujets. Cette série d'encre sur papier est issue de « Black Medicine Book », un ouvrage fleuve, dense, tenu et sombre, qui regroupe un ensemble particulièrement conséquent d'œuvres (dessins, peintures, objets, maquettes) réalisées vers 2017 ; c'est un monde que décrit Reumann dans cet ouvrage, un monde en guerre, entre des factions politiques et religieuses inidentifiables, agressives et fanatiques, des personnages et des architectures improbables dans un paysage montagneux, sombre et froid. A force de violence, c'est une forme d'absurdité qui point ici, l'image d'une humanité somme toute peu différente de la nôtre.

Stéphane Cecconi