A B C D E F G H I J K L M N O P Q R S T U V W X Y Z
 
2/9: Résultat précédent Résultat suivant

Lewis, Mark (Hamilton, Ontario/Canada, 1958)


The Pitch, 1998
Film
Film 35 mm transféré sur support vidéo Digital Betacam, PAL, couleur, stéréo
Format de l'image vidéo: 1.66 : 1; Durée : 4'
Acquis en 2000

[n° inv 2000-025]

Collection du Fonds d'art contemporain de la Ville de Genève (FMAC)



>> Autres oeuvres
>> BibliographieAA : Le lien ouvre la bibliographie en fin de page.
>> Imprimer

 

Dans "The Pitch", constitué d'un seul plan séquence, Mark Lewis, debout, filmé en gros plan et en plongée, lit un texte sur le statut des figurants (« extras ») au cinéma. Il déplore que ce « prolétariat silencieux » soit habituellement peu estimé. Il se propose dès lors de faire un film dans lequel ne joueraient que des figurants. Ce film, "Extra extra", serait tourné en CinemaScope « car lorsqu'il est question de figurants, un écran large en implique littéralement un plus grand nombre ». Il faudrait éliminer les dialogues entre acteurs, les « parties principales » du film, et ne filmer que les « chorégraphies » de figurants. Les figurants feraient ainsi l'objet d'une attention et d'une reconnaissance plus grande - bien que de façon tout à fait contradictoire, car dans un film qui aurait pour sujet principal des éléments cinématographiques marginaux.
Durant la lecture du texte, la caméra effectue un lent zoom arrière, dévoilant le lieu dans lequel se trouve Mark Lewis. Il s'agit d'un hall de gare, fortement fréquenté. Des individus sont debout, d'autres passent, certains attendent leur train ou un proche. Bref, ils constituent les figurants de "The Pitch". En montrant les usagers de la gare en contexte réel, Mark Lewis effectue le film annoncé. Autrement dit, la combinaison du discours et du dispositif de filmage rend son acte performatif. Les personnes présentes dans la gare, en remplissant l'écran, deviennent le sujet principal du film. Bien qu'il soit au milieu de l'image, et bien qu'il se démarque des autres individus en lisant une feuille, l'artiste devient lui aussi figurant : il est filmé en plan éloigné, debout dans la foule.
La performativité de "The Pitch" est au service d'un nouveau cinéma. En effet, vouloir s'occuper du figurant avant tout, c'est entrer en conflit avec le cinéma traditionnel, qui, lorsqu'il abandonne le héros, ne le fait que pour se tourner vers son pendant burlesque, l'anti-héros. Passer aux anonymes, c'est connecter le cinéma au réel. En tous les cas, cette focalisation sur le figurant permet de se défaire de la narration du cinéma de masse - dramaturgie psychologiste et action. Filmer des usagers d'un espace public permet dégonfler les prétentions du cinéma, pour le ramener, peut-être, à une expression plus riche parce que plus brute. Ainsi, dans ce film, qui est l'un de ses premiers, Mark Lewis a d'ores et déjà l'intuition qui servira de fil conducteur à son travail plus tardif : revenir aux frères Lumière et à l'idée « une bobine un plan » (Mark Lewis, "Films 1995-2000", Londres, 2000, p. 48). Après quelques films de déconstruction du cinéma, comme "A Sense of the End", dans lequel il montre une succession de scènes de fin de films, ou "After (Made for TV)", dans lequel il ne montre que des scènes ayant lieu entre des actions que le spectateur ne voit jamais, Mark Lewis entamera son activité cinématographique positive, tournant principalement des films brefs sur des évènements simples du monde urbain ou de la nature. Dans l'œuvre de Mark Lewis, "The Pitch" joue en quelque sorte le rôle que L'arrivée d'un train en gare de La Ciotat a joué dans l'histoire du cinéma.

Hamid Taieb