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Leuba, Jérôme (Genève/Suisse, 1970)


Battlefield #52 / Davos, 2009
Sculpture
Luge Davos (bois et métal), couteau, ruban adhésif
Dimensions: 30 x 30 x 80 cm (environ)
Don en contrepartie

[n° inv C 2010-014]

Collection du Fonds d'art contemporain de la Ville de Genève (FMAC)



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Crédits photographiques : Jérome Leuba, Genève
 

Jérôme Leuba (1970), diplômé de l'Ecole Supérieure d'Arts Visuels de Genève, entame sa carrière par la réalisation de divers films en 16mm et 35mm, dont "Gaule" (2003), un road-movie expérimental. Travaillant par la suite sur divers supports - photographies, vidéos, installations et performances - il produit depuis 2004 une série de pièces numérotées, toutes portant l'intitulé "Battlefield". Ces œuvres, dont le substrat est tantôt un champ de bataille réel, tel que dans "Battlefield#4 / Verdun" (2004), mais plus souvent allégorique et suggéré, révèlent la tension inhérente aux zones de conflits. Conflits sociaux, psychologiques, politiques, ou économique qui rythment notre quotidien et le codifient, ajoutant ainsi du déterminisme dans notre manière de traiter l'information.
De manière générale, les pièces de Jérôme Leuba se concentrent sur l'espace de l'oxymore, et celui du visible et de l'invisible (Jérôme Leuba, Battlefield. JRP-Ringier, Zürich, 2013). Dans la vidéo "Toussaint de corps et d'esprit" (1993), l'artiste intègre habilement cette dialectique, en filmant un monologue de l'écrivain Jean-Philippe Toussaint où l'image fond progressivement vers le blanc, amputant un sens au spectateur et le confrontant au seul son du film. Dans le cadre du projet d'art public Neon Parallax (2006-2012), il installe une œuvre lumineuse, un néon de 26 mètres de long sur un toit de Genève. Cette œuvre, intitulée "Breath" [respiration] (2007), s'illumine et s'éteint doucement, en suivant un cycle d'apparition et de disparition imperceptible.

Dans la série des Battlefields, Jérôme Leuba s'appuie sur le lien étroit entre le spectateur et l'actualité et fait ressortir le conditionnement de notre société, submergée par les vagues d'images, ainsi que le caractère parfois surprenant des réflexes collectifs installés en nous, à notre insu. Il en ressort une interprétation contextuelle d'œuvres qui n'ont à priori rien de singulier. Un individu regardant par la fenêtre d'un gratte-ciel rappelle les images du World Trade Center, répétées en boucle le 11 septembre 2001 (Battlefield#58 / open window, 2009), un sac oublié dans un musée devient une bombe (Battlefield#19 / if you see something, say something, 2009), un homme immobile sur son balcon, un fusil d'assaut à ses côtés, se transforme en un meurtrier en puissance (Battlefield#47, 2009). Ces associations poussent le spectateur, pris en défaut par les images, à s'interroger sur ses peurs, invisibles, et sur le processus de création d'une image mentale. C'est le regroupement et l'affrontement de signes hétérogènes qui participent à l'apparition d'ambiguïtés propices à de multiples lectures. De même, cette approche fait ressortir la fragilité du lien entre une œuvre et son interprétation.
Le contraste entre l'attente et la déception est aussi un élément récurrent dans les Battlefields de Jérôme Leuba. Dans Battlefield#50 (2009), mis en scène au rez-de-chaussée d'une banque, une file d'attente ralentie par 50 faux spectateurs progresse lentement pour découvrir la nouvelle pièce de Jérôme Leuba. Toutefois, en suivant le chemin marqué par des potelets, le public se retrouve par surprise devant une porte menant à la sortie, de l'autre côté de la banque.

Le numéro #52 de la série Battlefield, intitulé Davos, de la collection du FMAC, est une sculpture composée d'une luge en bois placée à même le sol, un couteau dissimulé sous la luge à l'aide de ruban adhésif. Dans un premier temps, cette œuvre ne bouleverse pas l'esprit, rien n'indiquant qu'une partie de l'œuvre est invisible. Certains spectateurs feront preuve de curiosité et remarqueront le couteau, dont la présence dérange. L'association luge-couteau n'appartenant pas à notre ensemble d'associations usuelles crée de fait un sentiment d'incompréhension, voire d'insécurité. La dualité des symboles, créatrice de tension et leitmotiv des œuvres de Leuba, refait ainsi surface à travers deux objets à priori anodins mais opposés en tous sens. La luge et le couteau évoquent alors la rupture entre l'enfance et la mort, entre l'insouciance et la crainte. Un couteau qui est dissimulé et une luge, en apparence, abandonnée tel un leurre, accentuent davantage la sensation de malaise qui s'installe progressivement, à mesure que le spectateur appréhende l'œuvre. On s'interroge alors sur l'origine d'une telle dualité des signes. Tel un chat de Schrödinger, un objet serait simultanément dans deux états, l'un offensif et l'autre inoffensif, respectivement visible et invisible, et la résolution de cette ambiguïté dépendrait du contexte. L'interprétation nous serait alors implicitement suggérée par notre mémoire médiatique, mettant au jour le caractère malléable de notre jugement. Un "militantisme doux" (Jérôme Leuba, Battlefield. JRP-Ringier, Zürich, 2013) apparaît en toile de fond des pièces de Jérôme Leuba, sans prise de position aucune, poussant le spectateur à la réflexion. Le titre de l'œuvre, rappelant accessoirement les réunions annuelles du World Economic Forum, n'est d'ailleurs pas étranger à la question politique, fil rouge des œuvres de Jérôme Leuba.

Pavel Ermoline

Bibliographie :

Fonds cantonal d'art contemporain, Service cantonal de la culture. Battlefield. Genève : Che Huber, Noir sur noir, 2011.
Fonds d'art contemporain de la Ville de Genève. Neon parallax Genève (2006-2012) : un projet des Fonds d'art contemporain de la ville et du canton de Genève. Gollion : Infolio, 2012.
Genève (ville). Fonds municipal de décoration. Fonds d'art contemporain de la Ville de Genève : collection, 1991-2003. Genève : La Baconnière/Arts : Fonds d'art contemporain, 2005.
LEUBA, Jérôme. Battlefield. Zürich : JRP-Ringier, 2013.
TISSOT, Karine. Artistes à Genève : de 1400 à nos jours. Genève : L'APAGe : Notari, 2010. (Collection GrandArt)