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Downsbrough, Peter (New Jersey/Etats-Unis d'Amérique, 1940)


SET [ING], 2003
Vidéo
Vidéo Digibeta, noir et blanc, stéréo (extraits de "Andon" de Peter Downsbrough, 1979)
Format de l'image vidéo: 4:3; Durée : 4'20''
Acquis en 2017

[n° inv 2017-001]

Collection du Fonds d'art contemporain de la Ville de Genève (FMAC)



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L'artiste américain Peter Downsbrough, initialement diplômé en architecture, explore depuis les années 1960 les notions d'espace, de temps et de langage ainsi que leur articulation : il en découle le concept, cher à l'artiste, de ‘location', soit l'emplacement d'une chose ou d'une personne à un endroit et à un moment donné. Du mot au territoire, en passant par l'espace public, cette recherche parcourt toutes les échelles et prend forme sur de nombreux médiums complémentaires : livre, dessin, sculpture, photographie, vidéo, musique. Elle a commencé par des exercices formels renvoyant à un vocabulaire minimaliste sous forme d'assemblages ou de pliages en maquette, ainsi que de schémas rassemblés dans des carnets, comme pour "Notes on Locations I & II" (1969-1972 et 1973) où l'espace blanc de la page est parcouru de vecteurs, de lignes noires et d'annotations de lieu et de temps telles que ‘place', ‘there' ou ‘now'. Simultanément à leur développement en dessin sur papier millimétré, en surimpression sur photographie ou en offset dans de petits livres d'artiste, ces lignes noires ("Two Lines") se sont aussi transposées en sculptures ("Two Pipes") comme des couples de tubes noirs placés dans l'espace public.
Les préoccupations de l'artiste concernent ainsi la relation ou l'espacement entre deux éléments – lignes, mots, lettres, lieux, moments – et la traduction spatiale des rapports sémantiques ou syntaxiques contenus dans certains mots du lexique principalement spatio-temporel ou cinétique (‘SET', ‘POSITION', ‘DRIFT'). Souvent, il s'agit justement de mots de liaison comme des prépositions ou des adverbes de lieu et de temps (‘IN', ‘HERE', ‘THEN'), ou encore des conjonctions de coordination ou de subordination (‘AND', ‘AS'). Ces mots, séparés dans un axe ou un autre, se lient à des lignes ou, à partir des années 1980, à des tubes noirs qui eux aussi entrouvrent la surface d'un mur ou l'espace d'un lieu. L'artiste rend ainsi plein et fluide l'espace alors créé ; il le fait exister. Lorsque la séparation a lieu au sein d'un mot ou un syntagme, par une espace, un tiret ou un crochet, c'est pour mettre en évidence le radical de son affixe ou un mot enchâssé dans l'autre et la signification que crée leur rapprochement (PASS-ING', ‘T[HERE', ‘FROM [TO]').
Si les premières expérimentations de l'œuvre vidéographique de l'artiste datant des années 1976 à 1983 se concentrent sur des personnages dans diverses postures expectatives à Manhattan, la période actuelle de production, entamée au début des années 2000, change de style en resserrant le cadre sur le contexte urbain. Sortes d'échantillons de mémoire spatio-temporels de plusieurs métropoles européennes ou américaines, ces courts-métrages sont tournés en noir et blanc et composés de travellings et de plans fixes d'espaces urbains, parfois entrecoupés de photographies ou de cartes géographiques, et dans lesquels réapparaissent les mots qu'emploie habituellement l'artiste.
Faisant écho au choix de mots de liaison, l'artiste se concentre sur des points d'articulation urbains tels que les carrefours, les bretelles d'autoroutes, les esplanades, mais accorde en général une large place aux endroits vides. Les films sont presque muets, les seules occurrences sonores se réduisant à des bruits de circulation, à du texte lu ou parfois à de la musique extraite d'enregistrements expérimentaux réalisés par l'artiste dans les années 1970-1980. C'est ainsi que la ville est traitée à la fois comme décor immobile, lors des cadrages presque abstraits de façades sévères de gratte-ciel par exemple, et à la fois comme organisme vivant lors des plans sur la circulation automobile. La plupart du temps, pour traiter ces deux aspects, le statique et le dynamique, Downsbrough utilise respectivement le travelling et le plan fixe ; parfois, cependant, le mouvement de la caméra se synchronise à ce qui est filmé (Gauthier, 2005) ; parfois elle demeure aussi immobile que ce qu'elle filme.
En donnant à voir la ville en tant que telle, observée depuis une voiture ou à travers les vitres d'un immeuble, l'artiste porte notre attention sur la condition essentiellement urbaine de l'homme. Toutefois, les piétons sont presque toujours absents, les conducteurs ou les passagers, invisibles : ils n'existent que par métonymie. Ce vide est par exemple perceptible dès le premier court-métrage de ce nouvel ensemble de vidéos, "OCCUPIED" (2000), tourné sur les esplanades et les balcons déserts de la cité administrative de Bruxelles. De même que les lignes noires de ses installations sont placées de sorte à mettre en évidence l'espace qui les sépare, de même la structure de la ville, vue telle une articulation de façades, de places et d'axes de communication, est filmée de manière à faire ressortir le vide qu'il y a entre. En ayant à l'esprit le Plan de Nolli (1748) où c'est tout l'espace public de la ville de Rome qui se détache de la carte – de la piazza jusqu'à l'intérieur des cathédrales –, l'on pourrait lire l'exercice vidéographique de Downsbrough comme un poché qui, cependant, fonctionnerait dans une dimension à la fois spatiale et temporelle.
L'œuvre "SET [ING]" est filmée depuis les bureaux d'une des tours du quartier de la Défense à Paris, à savoir l'immense complexe Cœur Défense, alors tout juste terminé (en 2001). Le lieu n'est pas si anodin puisque c'est cet immeuble qui a remplacé la Tour Esso, bâtiment pionnier du quartier et premier immeuble de bureaux au sens d'‘office building' en France lors de sa construction en 1963 (Orillard, 2012). Comme pour observer tout ce qui s'est érigé autour depuis les années 1960, l'artiste effectue de lents balayages du panorama de gratte-ciel alentour : "One. Deux. Three. Quatre. An arch. A Window." entend-on récité plusieurs fois. Ces extraits d'un morceau de l'artiste, "And On" (1979), font écho à la sérialité des façades préfabriquées, tout en rappelant les éléments primaires de l'architecture dont la répétition et la combinaison constitue un bâtiment et a fortiori ceux qu'il filme. Laissant une large part du cadre à l'intérieur du bureau d'où il tourne, l'artiste joue avec la notion de mise en abyme déjà présente dans le titre aux mots enchâssés : le décor (‘setting') de buildings est comme placé (‘set') dans le bureau. Enfin, au fil des mouvements latéraux, l'image se divise par moments verticalement par un montant de fenêtre noir ou une colonne reflétée alors qu'apparaissent des mots sur l'image, combinaisons linéaires qui miment les lignes noires habituelles de l'artiste.
Lloyd Broda

Bibliographie et sources :
Pirenne, Raphaël. "Peter Downsbrough. [exposition, Musée régional d'art contemporain Languedoc-Roussillon, Sérignan, 1 mars au 11 juin 2014]". Sérignan : Musée régional d'art contemporain Languedoc-Roussillon, 2014
Herbert-Arnaud, Line. ‘Peter Downsbrough, a Spatialized Grammar', in : Art Press n°393, octobre 2012, Paris : Art Press, pp. 49-50
Orillard, Clément, ‘Americanism', in : Chabard, Pierre et Picon-Lefebvre, Virginie, ''La Défense, dictionnaire et atlas: Architecture / Politique, Histoire / Territoire'', Marseille : Ed. Parenthèses, 2012, pp.22-27
Van Gelder, Hilde, and Streitberger, Alexander. "Compléments : Photographie et film dans l'œuvre de Peter Downsbrough". 2011. Web.
González-Sancho, Eva ; Gauthier, Michel ; Herbert-Arnaud, Line and Klein, Richard. "Peter Downsbrough : [exposition, Frac Bourgogne, Dijon, 11 septembre au 29 novembre 2004]". Dijon : Fonds Régional d'Art Contemporain de Bourgogne, 2005.
Champesme, Marie-Thèse [coord.] et al., "Peter Downsbrough : Position : [exposition, Palais des Beaux-Arts, Bruxelles, 25 juin - 7 septembre 2003]". Bruxelles : Argos ; Genève : Mamco, 2003.
Downsbrough, Peter. "Notes on Location". New York : TVRT, 1972 (Reprint, Brest : Zédélé, 2012)