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Textes de l'exposition

D - Le temps de la crise

Les États consultent les peuples autochtones concernés et coopèrent avec eux de bonne foi par l’intermédiaire de leurs propres institutions représentatives, en vue d’obtenir leur consentement, donné librement et en connaissance de cause, avant l’approbation de tout projet ayant des incidences sur leurs terres ou territoires et autres ressources, notamment en ce qui concerne la mise en valeur, l’utilisation ou l’exploitation des ressources minérales, hydriques ou autres. (Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, 2007, Art.32.2)

Les cultures et les pratiques des peuples autochtones sont fondées sur le maintien de bonnes relations avec les divers éléments qui composent l'écosystème et sur l'utilisation durable des ressources. Les humains et les non humains, qui peuvent être des animaux, des plantes, des montagnes ou des esprits, ont des responsabilités réciproques et suivent des normes de conduite négociées. Dans cette optique relationnelle, une montagne, une rivière ou un saumon sont des partenaires animés. Les peuples autochtones parlent souvent de leur responsabilité de protéger les ressources naturelles pour les générations futures. Cet engagement à l'égard de la nature est fondamental pour les cultures, les valeurs et l'identité des peuples autochtones. Le principe de la gestion responsable des ressources naturelles qu’ils défendent se reflète de plus en plus dans l'action mondiale en faveur de l'environnement.

Une situation de type colonial

Les peuples autochtones ont connu le génocide, l'esclavage, les déplacements forcés, la dépossession de leurs terres et de leurs ressources, le racisme et les violations de leurs droits humains depuis le début de la colonisation européenne à travers le monde. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, ce colonialisme a progressivement pris fin avec la création de nations indépendantes. Cependant, de nombreux peuples autochtones affirment qu'ils vivent toujours dans une relation de type colonial avec les États dans lesquels ils se trouvent. Malgré leurs obligations juridiques internationales, régionales ou nationales en relation avec les droits des peuples autochtones, de nombreux États donnent la priorité à des activités de développement économique telles que l'exploitation minière ou les projets hydroélectriques sur des terres traditionnellement occupées par des peuples autochtones sans les consulter préalablement ni obtenir leur consentement.

Pile o’Sápmi

Dessin huikime faisant partie de la série Oaivemozit/ Madness / Galskap
Imprimé de médias mixtes réalisé par Máret Ánne Sara(1983-)
Sami
Sápmi, Norvege
2012
Avec l’aimable autorisation de l’artiste
© Máret Ánne Sara

La famille de Máret Ánne Sara a dû quitter ses terres traditionnelles dans le nord de la Norvège suite à l’ordre de l’État de réduire leur troupeau à septante-cinq rennes. En 2016, dans l’incapacité de survivre économiquement, elle a poursuivi l’État en justice au nom des droits humains et autochtones. Malgré deux victoires devant les tribunaux, la Cour suprême a finalement déclaré légal l’ordre d’abattage en 2017. Pile o'Sápmi évoque la manière dont les éleveurs de rennes sont affectés par les lois coloniales, les industries et par l’exploitation des ressources sur les terres dont ils dépendent. Les conséquences de ce déséquilibre sur l’environnement et la négligence à l’égard des Samis ont conduit à une forme de folie qui préoccupe Máret Ánne Sara depuis des années.

Déclaration de l’artiste Máret Ánne Sara
«Il était une fois une mère avec beaucoup d’enfants. Ils étaient si différents qu’il était inutile de les comparer. La mère leur a appris à tous qu’ils étaient tous aussi importants pour le bien-être de tout le monde. Ils savaient que si l’un d’eux était blessé ou délaissé, quelqu’un d’autre – si ce n’était tous – souffrirait de manières inimaginables et pour un temps inconnu. Comme son foyer fonctionnait bien, elle pouvait fournir à ses enfants tout ce dont ils avaient besoin, et ses enfants ont prospéré et grandi. Certains sont devenus plus grands, d’autres plus rapides, d’autres encore plus intelligents, jusqu’à ce que les sages ne deviennent si sages qu’ils ont décidés qu’ils savaient mieux que personne. Je consacre mon art et ma voix à rappeler que nous sommes tous liés à la Terre Mère et à toutes les créatures qui nous entourent et que nous devons de nouveau respecter tous nos frères et sœurs, pour un avenir commun. Sans nous tous, bientôt nous ne serons rien. Pendant que je travaillais sur cette exposition, je me suis rendu compte que ma prière pour nous tous est que nous puissions reconnecter nos têtes avec le sol sur lequel nous nous tenons tous.»
Máret Ánne Sara

Essais nucléaires en territoire autochtone: le cas des Îles Marshall

Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, le développement des armes atomiques s’intensifie pour atteindre son paroxysme pendant la Guerre froide en ciblant souvent les territoires autochtones. Entre 1946 et 1958, les États-Unis effectuent soixante-sept essais nucléaires sur les Îles Marshall, soit l’équivalent de 1,6 bombe d'Hiroshima par jour pendant douze ans. Pour les populations locales, les conséquences sont désastreuses : déplacements forcés, syndromes d’irradiation aiguë, cancers, naissances de bébés souffrant de graves malformations, pollution de l’environnement. Aujourd'hui, la République des Îles Marshall, après avoir obtenu l’indépendance des États-Unis en 1986, lutte contre les conséquences du réchauffement climatique et le lourd héritage colonial des tests nucléaires.

La conquête de l’or ou la colonisation des Amériques

C'est la quête de nouvelles richesses qui a conduit à la colonisation des Amériques au 15e siècle et, depuis, à l’extraction de tonnes d'or venues enrichir les économies européennes. L’activité aurifère continue d’apporter son lot de violences aux communautés autochtones et l’usage massif de mercure nuit gravement à l’environnement. En Guyane, où des milliers de kilomètres de cours d’eau sont pollués, la déforestation s’est aggravée avec la multiplication de mégaprojets. En 2007, la mobilisation des autochtones et des écologistes avait permis de suspendre le projet de la «Montagne d’or» car il n'était pas compatible avec les normes environnementales. Aujourd’hui, c’est la création d’une mine industrielle à ciel ouvert de 15’100 hectares qui menace la commune d’Apatou en pleine forêt amazonienne.

Déclaration de l’artiste Ti’iwan Couchili

«Élevée dans une famille mixte teko-wayana sur la rivière Tampok, un affluent du Maroni, j’ai commencé à peindre des maluwana ou ciels de case au début des années 1990. À cette époque, les techniques traditionnelles à base de pigments minéraux étaient tombées en désuétude. Une de mes premières « innovations » a été de renouer avec ces anciennes techniques auprès de mes aînés mais aussi en découvrant de vieilles photos d’archives. Au fil des ans, j’ai souhaité explorer d’autres espaces que ceux des disques de bois de fromager propres au maluwana et valoriser toute l’identité graphique wayana. Mon mode d’expression préféré continue d’être la peinture sur les bois amazoniens. Mon travail est traversé par les problèmes sociaux auxquels les communautés amérindiennes doivent faire face : l’acculturation, les addictions, les suicides, la pauvreté. J’essaie de dépasser ce quotidien difficile en témoignant de la valeur et de la beauté de mes identités graphiques amérindiennes.»
Ti’iwan Couchili

L’injustice environnementale

Les peuples autochtones vivent dans les régions les plus menacées par le changement climatique. Les forêts tropicales du monde, où résident 60 millions d’autochtones, sont sous pression car leurs terres sont défrichées et dégradées par l'extraction minière et pétrolière, l'agriculture et l'élevage à grande échelle, l'exploitation forestière illégale et les projets hydroélectriques. Ces projets d’exploitation, souvent autorisés sans consultation préalable ni consentement, ont un coût social élevé pour les peuples autochtones et pour l'environnement. Dans les zones de pâturage, les ressources en eau pour les animaux deviennent de plus en plus imprévisibles, ce qui oblige les éleveurs à élaborer de nouvelles stratégies de survie. Les peuples autochtones de l’Arctique rencontrent des variations annuelles de température de plus en plus extrêmes, allant de -40°C à +30°C. Le changement climatique et la disparition de la glace de mer ont déjà un impact sur leurs moyens de subsistance.

Les mégaprojets de barrages en Amérique du nord

Depuis 1970, les infrastructures énergétiques, telles que les mégaprojets de barrages, ont proliféré en Amérique du Nord entraînant l’inondation de terres que les peuples autochtones occupaient ou utilisaient traditionnellement. Ces développements ont conduit au déplacement des communautés et à la perturbation des économies locales durables. Le complexe hydroélectrique de la Baie James a débuté en 1971 sans consentement préalable des peuples cri et inuit de la région. Leur opposition a conduit à l’adoption de la Convention de la Baie James en 1975 qui prévoyait de leur verser une compensation financière et de protéger légalement leurs droits de pêche et de chasse en contrepartie de la cession des 11’500 kilomètres carrés de terres traditionnelles qui ont été inondées.

Déclaration de l’artiste Margaret Orr

«Avec ma famille crie et inuit, j’ai grandi sur la terre située autour de la rivière Chisasibi dans le NordduQuébec. J’ai appris que nous devons faire attention à ne pas détruire la terre ni perturber les écosystèmes naturels qui maintiennent la vie de tant de créatures vivantes. À la fin septembre 1984, on a annoncé que 10 000 caribous se seraient noyés en essayant de traverser la rivière Caniapiscau près de Limestone Falls. Ils ont péri parce que Hydro-Quebec a ouvert les vannes d’évacuation à deux cent soixante-dix miles en amont sur la rivière Caniapiscau. Land Water dépeint la partie de la rivière Caniapiscau où les caribous se sont noyés. Dans Water Sky, nous pouvons regarder cette peinture comme si nous étions au-dessus en train de contempler l’eau ou en-dessous levant les yeux vers le ciel. Ma vidéo 10,000 Drowned représente à travers le regard des caribous leur traversée du territoire, puis leur noyade. Contrairement à ce qui a été rapporté dans les médias, les peuples autochtones de la région m’ont récemment confirmé que l’on estime à 20 000 le nombre de caribous noyés.»
Margaret Orr

Huile de palme : une monoculture destructrice

Sur l’île de Bornéo, les exportations d'huile de palme ont bondi en vingt ans. Aujourd'hui, la région fournit plus de la moitié de l'huile de palme mondiale, utilisée dans 50% des produits vendus dans les supermarchés. Originaire d'Afrique, la plante a été introduite en Asie pendant sa colonisation. Miraculeuse dans les climats tropicaux, en raison d’un rendement élevé, la ressource a cependant un prix. La forêt, abattue pour satisfaire la demande mondiale de bois, a été remplacée par la monoculture d'huile de palme. Cette activité lucrative a encouragé l'exploitation forestière illégale et les incendies pour le défrichage, entraînant une perte de biodiversité et une hausse des émissions de CO2. À Bornéo, les peuples autochtones ont perdu leurs terres et leurs modes de vie traditionnels.

Résistances et alternatives face aux défis climatiques

Partout dans le monde, on observe une dégradation environnementale accentuée par le réchauffement climatique. La société civile prend la mesure de l’urgence climatique et demande que les entreprises aussi bien que les États respectent le droit environnemental et leurs engagements. Les procès devant les cours nationales n’ont jamais été aussi nombreux contre les compagnies qui exploitent le territoire. Les populations locales réclament d’être consultées au préalable et, lorsque c’est trop tard, elles exigent la réparation des dommages causés. Les peuples autochtones veulent faire valoir leurs droits collectifs à contrôler leurs terres et les ressources naturelles qui s’y trouvent. Ils continuent à s'opposer aux projets qui nuisent à l'environnement. Ils ont souvent le droit international, les tribunaux et l'opinion publique de leur côté.

Imider : la longue résistance

Imider est une petite oasis plantée dans une vallée au cœur des montagnes arides de l’anti-Atlas, dans le sud-est du Maroc. Non loin de ce village, la plus grande mine d'argent d’Afrique exploite l'eau des nappes phréatiques locales depuis des décennies, asséchant les terres, les amandiers, les oliviers et les palmiers de cette communauté amazighe et rejettant des polluants dans le milieu naturel. Les villageois se sont rebellés pacifiquement en 2011 en fermant une importante conduite d'eau qui alimentait la mine. Pendant huit ans, tout le village – femmes, hommes et enfants – ont participé aux actions collectives de résistance après avoir subi différentes formes de menaces et de répression.

La lutte des Xikrin du Cateté

Au cœur de l’Amazonie brésilienne, le peuple xikrin occupe des terres qu’il a toujours dû défendre. Depuis les années 1990, de nombreux projets miniers menacent la santé des habitants et la transmission de leurs pratiques rituelles. Les familles sont souvent contraintes d’utiliser l’eau polluée par les déchets toxiques des mines pour se laver et préparer le manioc. Engagés dans un procès contre les complexes miniers depuis 2012, les Xikrin sont récemment parvenus à suspendre, pendant neuf mois, l’activité d’une des usines les plus dangereuses. En 2018, six membres de la communauté ont créé le collectif Inhobikwa (les amis). Ils produisent des contenus audiovisuels pour revendiquer leurs droits à la terre, à leur culture et pour témoigner de leur lutte contre les mines.

De Wounded Knee à Standing Rock

En 1973, des membres de la communauté oglala et des militants de l'American Indian Movement occupent la réserve de Wounded Knee pour réclamer une enquête sur l’exploitation des ressources naturelles sans le consentement des communautés, en violation avec des traités signés au 19e siècle. Les médias rappellent qu’en 1890, Wounded Knee avait été le lieu d’un massacre perpétré par l’armée des États-Unis à l’encontre du peuple lakota. En 2016, la réserve de Standing Rock attire aussi l’attention des médias grâce aux réseaux sociaux lorsque des militants, les Water Protectors, s’opposent à la construction de l'oléoduc Dakota Access. En 2021, le président Biden a annoncé l’annulation du permis d’un projet similaire, le Keystone XL, redonnant espoir aux militants.


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