Dans le travail de Bastien Gachet, la présence humaine (et animale) – à l'exception de ses premières performances dans lesquelles il utilisait notamment le corps comme objet de mesure – est suggérée plus que montrée frontalement. La vie n'y est pas absente pour autant. Ses travaux évoquent l'homme et la société qu'il a façonnée à son image, ses valeurs, ses technologies, ses infrastructures et les artefacts qu'il crée. Pour l'artiste, chaque objet peut être conçu et perçu dans son état matériel, avec une fonction utilitaire, mais aussi dans son état symbolique révélateur de la culture qui l'a produit. Quoi de plus simple et anodin en apparence qu'une prise électrique? Dans la vidéo "OOO", dont le titre peut évoquer le chiffre 0 du néant ou du commencement autant que la bouche du fumeur et son rond de fumée, l'artiste a conçu un scénario dans l'appartement qu'il a occupé lors d'un séjour de recherche à Berlin. À partir d'une banale prise électrique (mais peut-on faire confiance à nos yeux?), dont certains modèles prennent une étrange apparence de visage humain malgré le danger qu'elle représente, il imagine une déambulation, tantôt anxiogène, tantôt comique, où plusieurs objets du quotidien s'animent: un gadget mobile se transforme en métronome entêtant, des stores automatiques ouvrent et ferment la scène comme un rideau de théâtre, la prise électrique en question se met soudainement à vapoter, etc. A travers ce «trou de serrure», l'artiste attire notre attention sur tout un système d'alimentation en énergie sur lequel notre société repose, une société à la fois gourmande et insouciante, dans sa grandeur technologique mais aussi dans ses limites et son aveuglement.
Yves Christen