Alain Huck est avant tout identifié comme un dessinateur, grâce à ses grands fusains, à la fois sombres et baroques dans le foisonnement des images superposées, nourris par sa collection d'images. A l'origine de nombreuses de ses œuvres, il y a un choc émotionnel et visuel, un trauma, que l'artiste va alors chercher à faire revivre et transmettre dans ses visions. A cet égard, impossible d'ignorer la série de 269 dessins sur papier transparent « Vite soyons heureux il le faut je le veux » (abrégé « VSH », collection FMAC): cette triple injonction au bonheur constitue, selon ses propres termes, « la matière première qui traverse mon travail et continuera de l'alimenter aussi longtemps que les félins mangeront les oiseaux ».
Les trois peintures au pochoir sur sac de jute font partie d'une vaste série-installation intitulée « Pause » ; les inscriptions renvoient, de prêt ou de loin, à un des dessins de la série « VSH ». Le choc à l'origine de ces inscriptions sur sacs est littéraire, il s'agit du roman « Sous le Volcan » (1947) de Malcom Lowry. Traversé par les thèmes du rapport entre l'homme et la nature, du corps et de l'esprit et du pouvoir presque totémique des images et du langage, le roman dépeint la chute d'un homme pour évoquer la fin de la civilisation. Les mots imprimés sur une marchandise synonyme, par le passé, de commerce triangulaire et d'esclavagisme et, au présent, d'économie nord-sud inégalitaire, agissent comme des bouteilles à la mer. Ces bribes de pensées de l'artiste disent son rapport aux images, en tant que créateur, et au monde, en tant qu'homme. Leur portée dépasse le registre personnel et biographique : ils radiographient l'état du monde actuel, où les marchandises, tout comme les hommes, les biens, les valeurs et les images, ne se sont jamais autant déplacées, pour le meilleur comme pour le pire.
Yves Christen