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Schwizgebel, Georges (Reconvilier/Suisse, 1944)


Jeu, 2006
Film d'animation
Film 35mm transféré sur fichier numérique HD ProRes, couleur, stéréo
Format de l'image vidéo: 4:3; Durée : 3'50''
Acquis en 2022

[n° inv 2022-041]

Collection du Fonds d'art contemporain de la Ville de Genève (FMAC)



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Tout l'œuvre animé de Georges Schwizgebel repose sur un état de poésie, sur l'expressivité sensible, presque épidermique, de la forme dans sa matérialité, sur la musicalité du rythme visuel, sur l'harmonie des transitions et des métamorphoses, comme une succession d'images acoustiques, celles qui ne se définissent pas, mais qui touchent et qui empreignent. Peut-être est-ce également dans la virtuosité de l'artisan qu'il faut chercher cet état, dans le vertige du travail, dans la production de douze ou vingt-quatre dessins par seconde d'animation, dessins dans lesquels on retrouve la concentration et le savoir-faire du peintre, sa touche picturale si spécifique, fluide et lâchée. Car ici le travail à la main est clairement et précisément défini, jamais caché, il sert de moteur, il trace pour leˑla spectateurˑtrice un parcours dans le mouvement, dans la cadence et dans l'enchaînement des images ; un mouvement qui met à mal le point de vue, toujours (délicieusement) chahuté dans des jeux de perspectives troublants et dans des sensations d'espace, sans cesse redimensionné, trompé et trompeur.
A partir de 1970, date à laquelle il fonde, avec Claude Luyet et Daniel Suter, le studio d'animation GDS, Georges Schwizgebel va employer une technique qu'il finira par adopter exclusivement, le cellulo, une technique traditionnelle dont il aime à jouer des contraintes, notamment en ce qu'elles se rapprochent de celles qui structurent la musique. La corrélation entre musique et image, l'une source de l'autre et inversement, devient centrale dans son travail – outre la question du rythme, du mouvement ou de la composition, c'est également la charge émotive et l'évocation sensible qu'elles transportent chacune, indépendamment et dans leur relation intrinsèque, qui donnent à ces œuvres animées un caractère unique.

Extrait de "La Damnation de Faust" d'Hector Berlioz, l'air de la scène XVIII, intitulé précisément "La course à l'abîme", met en scène deux cavaliers, Faust et Méphistophélès, qui serviront de fil rouge au court-métrage de George Schwizgebel. Le rythme envolé de cet air fournit point par point la cadence au mouvement des personnages et à leurs actions, mais l'artiste installe un double jeu rythmique, dans la mesure où la caméra se déplace en spirale, de l'extérieur vers l'intérieur comme un jeu de piste ou mieux un jeu de l'oie vertigineux. Le vertige est d'autant plus fort que, dans un final ébouriffant, la caméra, en se retirant en un zoom arrière, dévoile et recompose tout le déroulé du film en une seule image mouvante, comme une mise en abîme de son propre fil narratif.
Cette sensation de transport vertigineux en abîme se retrouve dans le court-métrage, "Jeu". Suivant une construction virevoltante et hypnotique, chaque action progresse et se développe en boucle, l'objet de cette boucle devenant lui-même le début de l'action successive, qui se développe à nouveau en boucle, dans un déroulement ininterrompu, effréné et haletant. A ce trouble de perte se mêlent sens dessus dessous des confusions de perspective et d'échelle, des renversements, des déséquilibres, menés de manière virtuose par l'artiste, maître du jeu par excellence.

Stéphane Cecconi