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Marclay, Christian (San Rafael/Etats-Unis d'Amérique, 1955)


Record Players, 1984
Vidéo monobande
Vidéo Betacam SP, PAL, couleur, stéréo
Durée : 3'50''
Acquis par transfert de collection en 2009

[n° inv FAI0757.01]

Collection du Fonds d'art contemporain de la Ville de Genève (FMAC) - Fonds André Iten



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Christian Marclay, dans « Record Players », filme un concert de bruits tirés d'un objet de la vie quotidienne. À ce titre, ce film aurait pu constituer la sixième étude de bruits de Pierre Schaeffer. Toutefois, la présence de l'image, la composition à influence punk et surtout le choix de l'objet éloignent Christian Marclay de Pierre Schaeffer. Dans « Record Players », la source du son est un vinyle. Autrement dit, un support d'enregistrement musical est détourné pour être utilisé comme objet émetteur de bruits.

Christian Marclay filme des individus produisant, selon plusieurs procédés, des bruits à partir de vinyles : grattement du sillon ou de l'étiquette du vinyle ; battement du vinyle ; frottement des vinyles l'un contre l'autre ; bris de vinyles ; piétinement de vinyles. La caméra à l'épaule filme les opérations en plans rapprochés, de telle sorte que les visages des individus n'apparaissent jamais à l'écran. La première scène montre une pile de vinyles posés au sol ; un individu entre dans le champ, se saisit d'un vinyle, le déballe, et le gratte selon le procédé précité. Petit à petit, d'autres vinyles apparaissent à l'écran et diverses manipulations se superposent - à l'exception des bris. Une fois le pic sonore atteint, le filmage du concert est brusquement interrompu. Suit une série de brefs plans fixes, durant lesquels des bris successifs de vinyle sont filmés en gros plan, les sons secs émanant de cette manipulation contrastant nettement avec la grande masse sonore du concert. Un plan rapproché montre les débris de vinyles jetés au sol, puis piétinés. Les individus quittent l'espace, tandis qu'en arrière-fond se font entendre le bruit de la rue et un écho de sirène.

Christian Marclay saute l'étape de l'intermédiaire technique et rabat le vinyle sur sa sonorité brute : le vinyle devient musical sans lecteur, au même titre que tout autre objet matériel. En filmant un concert de bruits de vinyles, Christian Marclay, loin de soustraire à cet objet sa fonction propre, la déploie pleinement : si le vinyle est un objet destiné à produire de la musique, ne trouve-t-il pas son accomplissement dans cette musicalité initiale ? Toutefois, l'absence d'intermédiaire technique n'équivaut pas à l'absence de tout intermédiaire : seule la prise en charge de l'objet par un groupe d'individus autorise cet accomplissement. Et tandis que la musique n'est rendue possible que par la présence de cette communauté, de même c'est par et dans la musique que la communauté se constitue. « Record Players » montre en ce sens une scène primitive : la naissance du commun. Cette « primitivité » n'est pas chronologique, mais anthropologique, se manifestant dans tout contexte socio-historique - le bruit de la rue et la sirène le démontrent.

Hamid Taieb