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Marclay, Christian (San Rafael/Etats-Unis d'Amérique, 1955)


Telephones, 1995
Vidéo monobande
DVD, PAL, couleur, stéréo
Durée : 7'30''
Acquis par transfert de collection en 2009

[n° inv FAI0759.01]

Collection du Fonds d'art contemporain de la Ville de Genève (FMAC) - Fonds André Iten



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« Telephones » est la première vidéo de la série hollywoodienne de Christian Marclay (suivent « Up and Out » (1998), « Video Quartet » (2002), « Crossfire « (2007), « The Clock » (2010)). Cette vidéo est constituée de brefs extraits de conversations téléphoniques tirés du cinéma hollywoodien. La narration générale respecte la chronologie d'une conversation type : décrochage du téléphone par la personne qui appelle / composition du numéro / sonnerie du téléphone chez la personne appelée / décrochage / salutations / premiers mots échangés / silence durant la conversation / adieux / raccrochages. Or, Christian Marclay ne montre pas une seule scène pour chacun des stades précités de la conversation, mais une série de scènes, extraites de films distincts. Ces plans, « grammaticalement » identiques, s'enchaînent en règle générale rapidement. Le montage cumulatif permet de dédramatiser les situations filmiques. Les teintes émotionnelles des scènes sont court-circuitées non seulement du fait de leur décontextualisation, mais aussi de leur juxtaposition. Les réactions d'effroi ou de précipitation des personnages à la sonnerie du téléphone s'entrechoquent, et leur caractère fictionnel et artificiel devient manifeste. Par ce procédé de juxtaposition, Christian Marclay transforme les scènes hollywoodiennes en « phonographèmes », en éléments atomiques de production de son. Ainsi, les bruits de sonnerie et les voix (bribes de conversations, interjections ou cris) deviennent les éléments d'une composition musicale à part entière, d'influence concrète et minimaliste : « Telephones » fait signe vers le Poème symphonique (pour 100 métronomes) de György Ligeti. Parallèlement à la ligne sonore issue des téléphones, l'auditeur entend les fragments des diverses musiques de fond des extraits montés. Cette seconde ligne - qui résiste à la composition - joue un rôle de contrepoint dissonant et rappelle que le montage, ici, implique un détournement de la base filmique initiale. Toutefois, le détournement par Christian Marclay du cinéma hollywoodien est accompagné d'une certaine bienveillance ; il semble davantage être celui d'un admirateur que d'un détracteur. « Telephones » ne s'inscrit ainsi pas dans la lignée des détournements radicaux et contestataires du cinéma grand public initiés dans les années 1960, notamment au sein du mouvement situationniste. Ni la méthodique destruction du rythme cinématographique effectuée par Guy Debord dans La société du spectacle, ni l'humour rageur de « La dialectique peut-elle casser des briques ? » de René Viénet n'intéressent Christian Marclay. Fruit d'une autre époque, la narration dynamique de Telephones laisse poindre une certaine déférence à l'égard du cinéma hollywoodien. Les visages d'Humphrey Bogart, Charles Bronson, Whoopi Goldberg, etc., défilent à l'écran, rassurant le spectateur sur l'unité du monde qui l'entoure : il n'y a pas d'au-delà du spectacle, ni au cinéma ni en art.

Hamid Taieb