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Marclay, Christian (San Rafael/Etats-Unis d'Amérique, 1955)


Ghost (I dont' live today), 1985
Vidéo monobande
Vidéo Betacam SP, PAL, couleur, stéréo
Durée : 4'
Acquis par transfert de collection en 2009

[n° inv FAI0758.01]

Collection du Fonds d'art contemporain de la Ville de Genève (FMAC) - Fonds André Iten



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Dans « Ghost (I don't live today) », Christian Marclay se met en scène avec sa Phonoguitare, un instrument composé d'une platine de vinyle et d'une distorsion attaché à une sangle de guitare. Tantôt filmé en gros plan, tantôt apparaissant sur un moniteur, Christian Marclay scratche un vinyle de Jimi Hendrix tout en manipulant la distorsion de son instrument, de sorte à produire un son proche de celui d'une guitare électrique. Il imite la gestuelle du jeu rock, en pliant les genoux et en se courbant vers l'avant ; des gros plans sur son visage montrent des mimiques extatiques de guitariste solo. Devant lui, un moniteur passe un concert de Jimi Hendrix - même gestuelle et mêmes mimiques. Le son de la guitare se superpose à celui de la platine. Le Star-Spangled Banner de Woodstock émerge brièvement de la masse sonore. Parfois, les moniteurs apparaissent simultanément à l'écran, mettant en parallèle les deux personnages.

Le titre du film, « Ghost (I don't live today) », est énigmatique. À première vue, le mot « ghost » semble renvoyer à Jimi Hendrix, qui n'est présent que fantomatiquement à l'écran, dans un moniteur, contrairement à Christian Marclay qui, lui, prend part en chair et en os au film. Les parenthèses joueraient le rôle de guillemets distanciants, attribuant la phrase qu'elles contiennent au spectre de Jimi Hendrix. Le film constaterait ainsi le passage du temps et l'arrivée du tourne-disque comme nouvel outil de production musical, au détriment du rock et de ses instruments traditionnels. La reprise de la gestuelle rock serait une sorte de dernier hommage burlesque de Christian Marclay, voire une provocation punk : il y a rupture dans l'histoire de la musique populaire ; la Phonoguitare est avant tout un tourne-disque. Toutefois, la phrase entre parenthèses pourrait également être attribuée à Christian Marclay. « I don't live today » : « je ne suis pas de mon temps ». Ainsi, plutôt que l'occasion d'une rupture, le film serait celle d'un hommage, voire d'une soumission complète au passé. Le fantôme ne serait pas Jimi Hendrix, mais Christian Marclay. Malgré l'usage du tourne-disque, la musique produite resterait dépendante des formes antérieures ; elle n'en est que la continuation respectueuse, ou la répétition déguisée. La création contemporaine, qui se veut originale, ne dépasserait aucunement ses sources, l'artiste tentant vainement de transcender ce qui a été décidé en amont. Toute tentative de création ne serait que le spectacle burlesque d'un individu gesticulant en vain devant les figures du passé. Les prises de décision fondamentales échappent à la maîtrise de l'artiste ; qu'il s'y soumette ou qu'il s'y oppose ne fait aucune différence. La Phonoguitare est bel et bien une guitare.

Or, ce qui constitue la force du film, c'est la tension entre les deux interprétations. L'histoire est autant continuation de la tradition que transformation de celle-ci. Christian Marclay est aussi bien un continuateur de Jimi Hendrix qu'un créateur autonome. La Phonoguitare est un instrument tant d'hier que d'aujourd'hui. L'apparente contradiction d'un passé qui détermine le présent tout en étant annihilé par celui-ci constitue le sens même de l'historicité. Réflexion sur la tradition dans la musique populaire - Rock Critic -, le film de Christian Marclay est également réflexion sur les structures originelles de la temporalité.

Hamid Taieb