Objet 43 : 14

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Poya au canivet de Louis-David Saugy
Suisse, Vaud, Pays-d'Enhaut, Rougemont
Vers 1915
Papier
l 42 cm, L 52 cm
Don de Maurice Bastian en 1957
MEG Inv. ETHEU 026399


Notice

L’inalpe et la désalpe encadrent la période productive de l’élevage. Seule la première, la montée à l’alpage est représentée sur les grandes peintures, ou poyas, que l’on accroche aux murs des fermes fribourgeoises dès le début du 19e siècle ou que l’on découpe dans le papier. Peu à peu, ces images passent de l’étable aux pièces de réception et entrent au 20e siècle dans les collections des musées.

Du verbe poyî, « monter », Poya « colline, montée » indique aussi en Suisse romande l’inalpe. L’acte pratique et cérémoniel de la montée à l´alpage se codifie vers 1850 comme sujet populaire couramment utilisé dans les réalisations de papiers découpés. Le travail est exécuté au canif et au ciseau sur une feuille pliée, ce qui permet à la composition de se développer de manière parfaitement symétrique. Ce « canivet » déploie l’imaginaire d’une Alpe à la fois anecdotique et visionnaire. L’abondance et la minutie du détail, la difficulté de sa réalisation, confèrent à ce sujet profane une valeur d’élévation morale.

L’art minutieux du papier découpé est attestée dès le 17ème siècle dans une large région du continent qui s’étend de l’Alsace à l’Autriche ou elle est utilisée tant pour des thèmes religieux que pour une iconographie séculaire. Pratiqué par plusieurs communautés culturelles on la retrouve en Pologne ou des ouvrages colorées dites wycinanki, sont utilisés lors des fêtes calendaires. En France, Allemagne et aux Pays-Bas les scherenschnitte ou papiersnyden, en noir et blanc, représentent le plus souvent des scènes galantes ou paysannes. Alors que les ketubah, contrats de mariages juifs, étaient aussi traditionnellement décorées par des découpes savantes.
« Canivet » est le nom couramment donné en français à une image pieuse (sur parchemin, papier, vélin ou un carton) dont les bords sont ajourés et traités en forme de dentelle. Bien qu’attesté dès le 13ème siècle, la vogue des « santini » (petit saints en italien) ou Spitzenbild (en allemand) se développe au 17ème siècle pendant la Contre-Réforme et perdure sous différentes formes jusqu’au 20èmes. Au début les images étaient peintes à la main (huile, gouache ou aquarelle), puis on voit apparaitre de gravures et des chromolithographies Ces supports de dévotion, dont la taille se réduit progressivement, étaient offerts comme des objets précieux et conservés dans les missels avant de devenir un objet de collection le plus souvent réunis dans des albums. D’ailleurs le mot canivet - mot dérivant du canipulum, petit couteau utilisé par les enlumineurs et copistes médiévaux - désigne également l'outil (lame ou point fine) qui permet le découpage. Il participe aussi à la composition des mots « canivetie » et « canivettiste » qui indiquent respectivement l’acte de collectionner les images pieuse et la personne qui possède la collection.

Certains ordre monastiques féminins associent à cette technique une pratique contemplative et se spécialisent dans la réalisation de canivets qui restent particulièrement prisé (citons à titre d’exemple les productions de Lyon, Besançon, Fribourg…). au 18e siècle l’emploi du papier, souvent plié en deux, remplace progressivement celui du parchemin devenu trop onéreux et généralement plus cassant.
Au même moment l’engouement séculaire pour la technique en elle-même développe d’autre motif plus à la mode et l’art de la silhouette trouve sa place dans les salons. À Genève notamment grâce aux talents de Jean Hubert (1721-1786) qui réalise ses célèbres « tableaux en découpures » et fait du canivet un loisir bourgeois. Grace à cette ascendance illustre la pratique du découpage gagne progressivement la campagne et notamment les régions du Saanenland et du Pays d’Enhaut. Des auteurs issus de ces régions, comme Johann Jakob Hauswirth (1809-1871) et Louis Saugy (1871-1953), assoient définitivement le succès de ces productions. En Suisse, et tout particulièrement au Pays d’Enhaut, la pratique du découpage est depuis restée très vivante.
Au 19ème sicle les imprimeurs disposent de nouveau outils mécaniques pour la découpe et le gaufrage du papier et proposent des réalisation standardisée.. Alors que l’imagerie religieuse décline et que la photographie détrône les « portraits-ombre2, le 20ème siècle voit migrer l’utilisation de la dentelle de papier à des champs plus prosaïques de la vie quotidienne (pâtisserie, décoration, activités ludiques…). A partir des années 1990 des artistes contemporains investissent de nouveau ce domaine de la création.


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