Deller, Jeremy (Londres/Grande-Bretagne, 1966)

Travail d'enquêtes, de collectes, d'échanges, de participations, tout l'art de Jeremy Deller réside dans le regard sensible et affuté qu'il porte sur la culture populaire, une culture dont il recueille les signes, les formes et les modes de représentation pour ce qu'ils dévoilent d'une histoire sociale et sociétale. Deller prend à rebrousse-poil, et avec une distance souvent amusée, les conventions du monde de l'art contemporain, il en questionne les pratiques et met en avant ou, du moins, remet au centre du discours celles et ceux qui d'ordinaire n'en prennent pas part.
Dans la vidéo "English Magic", qui a donné son nom au Pavillon anglais de la Biennale de Venise en 2013, la « magie anglaise" opère vraisemblablement au travers de la musique, de son ascendance populaire et de son interaction avec l'histoire contemporaine ; on connaît le pouvoir sourd de son influence sur la constitution d'un individu, un accompagnement à son développement, un accompagnement lourd d'énergies, d'états affectifs, d'états d'esprit qui tiennent de l'essentiel, du vital, du sacré. Ici, la musique occupe tout le terrain, le Melodian Steel Orchestra de Londres est non seulement l'interprète de la bande sonore, mais représente un acteur essentiel de cette culture musicale pétrie d'influences bigarrées, mêlant brassage des genres, de valeurs et de patrimoines.
Des rapaces en voie d'extinction, accessoirement chassés par la famille royale, une Land Rover compressée, un Stonehenge en château gonflable, une parade hétéroclite composée de corps de métiers, guildes et autres sociétés dans leur tenue d'apparat, un extrait de symphonie de Ralph Vaughan Williams, compositeur classique du début du siècle fortement attaché à la musique folklorique, un morceau acid house de A Guy Called Gerald et un grand classique de David Bowie sont autant de figures symboliques ou emblématiques d'une identité culturelle anglaise. Le choix de telles références n'est pas innocent, il se nourrit de strates et de lectures diverses, mêle la réminiscence à l'immanence, l'intime au collectif, le privé au social et au politique.

Stéphane Cecconi