ETHAF 019636-b

masque de la société "kwifon"

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019636-b
Masque de la société secrète du kwifon couronné d’une mygale
Cameroun, Grassfields, région du Nord-Ouest, Fungom
Kuk. Début du 20e siècle
Bois, patine. H 49.5 cm
Acquis de l’ethnologue Hans Himmelheber en 1937; collecté la même année
MEG Inv. ETHAF 019636-b

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Les masques kuk de la société du kwifon, l’organe de justice, agissent comme des éléments des forces de police, sévères et impitoyables. Bien que travaillant en pratique pour le compte du souverain, les porteurs de masques sont si déterminés que ce dernier doit également se soumettre à leurs résolutions. Représentants de l’administration traditionnelle, véritables « agents de l’ordre», ils prononcent des jugements qui doivent être respectés de tous. La représentation de l'araignée terrestre ou mygale (Heteroscodra crassipes) sur nombre de ces masques est la métaphore de la puissance des esprits des ancêtres et de l’infaillibilité de la divination. En effet, l’araignée terrestre vit à la fois au-dessus du sol, dans le village, et sous terre, là où résident les ancêtres, dans son terrier (que l’on compare d’ailleurs parfois à une tombe). Elle a la capacité de médiation entre ces deux mondes et est en conséquence fréquemment utilisée dans les pratiques divinatoires pour déterminer la cause d’événements passés ou actuels, comme un décès ou une maladie.
En tant que masque, l’agent de l’ordre qu'est le membre du kwifonexerce sur les contrevenants («patients») à la loi l’autorité du roi et des institutions traditionnelles. Il en est le relais. Le symbolisme de l'araignée utilisée en divination suggère l’aspect impartial et légitime de son action.

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Ressources

Carte des Grassfields au Cameroun

Les royaumes des Grassfields au Cameroun

À l’ouest de l’actuel Cameroun, une région de hauts plateaux nommée les Grassfields abrite de nombreux micro-États: l’aire de Bamenda au nord, les royaumes dits «bamileke» au sud et le royaume bamum à l’est. Avant l’ère coloniale, ces royaumes concurrents en termes de prestige et de richesses se distinguaient aussi dans les domaines des arts et de l’architecture. Les rois commanditaient alors les meilleurs sculpteurs et fondeurs de bronze des régions avoisinantes.

Sortie de masques bamum lors d’une cérémonie

Sortie de masques bamum lors d’une cérémonie. Photographie d'Anna Wuhrmann, Foumban vers 1920. Photographie transmise par Josette Debarge en 1932. © Archives MEG

Le royaume bamum sous le règne du roi Njoya

Le royaume Bamum, vraisemblablement fondé au 17e siècle, est le plus important des micro-États des Grassfields du Cameroun. Vers 1887, un tout jeune roi, Njoya, accède au trône. Son règne correspond à une période charnière de transformation entre un État traditionnel et un ordre nouveau.

En une quinzaine d’années plusieurs mondes entrent dans le royaume, occasionnant un brassage d’influences sans précédent : islam et christianisme réformé ; colonisations allemande, britannique et française ; administrations civiles et militaires et marchands ; régiments de l’armée des Indes et tirailleurs sénégalais se croisent dans la capitale. Ils sont accueillis par le roi Njoya, personnalité exceptionnelle qui vient d’inventer une écriture originale. Constamment améliorée, celle-ci permet l’émergence d’une historiographie et d’une littérature aussi bien que l’élaboration d’une religion syncrétique révélée. Le roi innove également dans des domaines aussi divers que l’architecture, la cartographie ou la pharmacopée et réforme son royaume en profondeur. Dès 1910, la levée du privilège royal sur les motifs et les matériaux est à l’origine d’un centre de production d’objets destinés à l’exportation. Persuadé d’être en qualité et en dignité l’égal des nouveaux venus, Njoya tente ainsi d’inventer une modernité bamum. Il est secondé par une équipe de collaborateurs talentueux parmi lesquels se trouvent des maîtres artistes, tel que le dessinateur Ibrahim Njoya, mais aussi ses futurs détracteurs.

Alexandra Loumpet-Galitzine

Le roi Njoya en costume militaire allemand sur son trône. Johannes Immanuel Leimenstoll, 1908. Archive Basel Mission/impa-m28832.

L’arrivée des Allemands en 1902 rebat en effet les cartes d’une histoire locale marquée par les conflits dynastiques. L’école de la mission et le poste colonial favorisent l’émancipation d’individualités fortes à l’exemple de Mosé Yeyap, cousin et opposant déterminé au roi. Le conflit qui les opposera pour le contrôle des objets et de la représentation de l’histoire est emblématique des nouvelles tensions en cours. Relativement apprécié par les Allemands, le roi Njoya entre en conflit avec l’administration coloniale française et meurt en exil en 1933. S’il perd provisoirement la bataille politique, il la gagne symboliquement en devenant un héros célébré à l’échelle continentale jusqu’à aujourd’hui.


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