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Textes de l'exposition

C - Le temps des responsabilités réciproques

Nous, femmes et hommes, le peuple souverain de l'Équateur [...] décidons par la présente de construire […] une nouvelle forme de coexistence publique, dans la diversité et en harmonie avec la nature, pour atteindre la bonne manière de vivre, le sumak kawsay. (Constitution de l'Équateur, 2008, Préambule)

Les cultures et les pratiques des peuples autochtones sont fondées sur le maintien de bonnes relations avec les divers éléments qui composent l'écosystème et sur l'utilisation durable des ressources. Les humains et les non humains, qui peuvent être des animaux, des plantes, des montagnes ou des esprits, ont des responsabilités réciproques et suivent des normes de conduite négociées. Dans cette optique relationnelle, une montagne, une rivière ou un saumon sont des partenaires animés. Les peuples autochtones parlent souvent de leur responsabilité de protéger les ressources naturelles pour les générations futures. Cet engagement à l'égard de la nature est fondamental pour les cultures, les valeurs et l'identité des peuples autochtones. Le principe de la gestion responsable des ressources naturelles qu’ils défendent se reflète de plus en plus dans l'action mondiale en faveur de l'environnement.

Le prince qui avait été enlevé par le saumon

Masque du Cèdre Amiilgm Smgan
Par Gyibaawm Laxha - David R. Boxley (1981-)
Ts’msyen
États-Unis, Alaska, Metlakatla
2020
Bois d’aulne, peinture acrylique
Réalisé a l’occasion de l’exposition
MEG inv. ETHAM 068759
© MEG, J. Watts

Masque du Prince Amiilgm Łguwaalksik
Par Gyibaawm Laxha - David R. Boxley (1981-)
Ts’msyen
États-Unis, Alaska, Metlakatla
2020
Bois d’aulne, peinture acrylique
Réalisé a l’occasion de l’exposition
MEG inv. ETHAM 068760
© MEG, J. Watts

Masque de la Riviere Amiilgm K’ala Aks
Par Gyibaawm Laxha - David R. Boxley (1981-)
Ts’msyen
États-Unis, Alaska, Metlakatla
2020
Bois d’aulne, peinture acrylique
Réalisé a l’occasion de l’exposition
MEG inv. ETHAM 068761
© MEG, J. Watts

Masque du Chef des saumons Amiilgm Sm’ooygidm Hoon
Par Gyibaawm Laxha - David R. Boxley (1981-)
Ts’msyen
États-Unis, Alaska, Metlakatla
2020
Bois d’aulne, peinture acrylique
Réalisé à l’occasion de l’exposition
MEG inv. ETHAM 068762
© MEG, J. Watts

Les précipitations dans le sud-est de l'Alaska en 2017 ont été les plus faibles de ces quarante dernières années. Le débit des rivières s’est réduit et l’augmentation de leur température a affecté la survie des saumons. Cette année-là, la ville de Metlakatla a publié un plan d'adaptation au changement climatique et a identifié le saumon comme prioritairement vulnérable. Le saumon est une espèce-clé pour les autochtones de l'Alaska. Il est le fondement des activités commerciales et culturelles des habitants. Il commence et finit sa vie en eau douce et se nourrit en eau salée, ce qui le rend très sensible aux changements environnementaux. Le Prince qui avait été enlevé par le Saumon est un conte Ts’msyen réinterprété par le poète Gavin Hudson avec le concours du sculpteur David R. Boxley. Quatre voix évoquent la relation qu’entretiennent les Ts’msyen avec le peuple des Saumons et nous rappellent notre responsabilité envers les ressources naturelles. (963)

Déclaration de l’artiste Huk Tgini’itsga Xsgyiik – Gavin Hudson, Ts’msyen, Metlakatla

«La perception autochtone du monde est fondée sur l’interconnexion, la durabilité et l’équilibre. Elle propose un chemin à suivre en ces temps de chaos, de crise et de désespoir. La philosophie ts’msyen du Sag̱ayt K’üülm G̱ood (Tous d’un seul cœur) exprime l’unité grâce à l’amour et la conscience universelle. Il ne peut être plus clair que l’urgence climatique mondiale, les guerres, la pauvreté, la famine, la disparition des espèces et les pénuries d’eau imminentes sont toutes les symptômes d’une rupture avec leSsag̱ayt K’üülm G̱ood. Nous ne pouvons vivre sans les saumons, le cèdre, la rivière ou la mer. Ceux-ci sont tous tissés ensemble dans un supersystème. Si l’un est détruit, alors tous les autres suivront. Mais lorsque nous vivons comme un seul être, en harmonie avec la nature, suivant le rythme des battements de cœur de la Terre Mère, nous transcendons les traumatismes et les illusions de division imposés par la colonisation. Peut-être que nos formes d’expression artistique pourront être un rappel de l’importance du rôle joué par les humains dans le déroulement du destin de notre monde.»
Huk Tgini’itsga Xsgyiik – Gavin Hudson

Déclaration de l’artiste Gyibaawm Laxha – David Robert Boxley

«Depuis des temps immémoriaux, les Ts’msyen comprennent qu’il existe un esprit humain en toute chose vivante, que les humains ne sont pas séparés du monde naturel mais simplement une partie de celui-ci. Cette connexion inextricable entre les humains et le monde autour de nous rappelle la responsabilité que nous avons de prendre soin de tout cela. Nous avons hérité ce savoir de nos aînés et nous devons incarner leur sagesse et la transmettre à nos descendants. Trop parmi nous ignorent ces leçons depuis trop longtemps et, à moins que l’humanité ne s’extirpe de la mentalité coloniale et ne libère nos cœurs pour agir avec courage et amour, nos propres actions autodestructrices consumeront le monde entier. Nous avons le pouvoir de sauver la Terre Mère et, avec elle, nous-mêmes. J’espère que mon travail vous aidera à vous souvenir que les saumons reviendront seulement si nous sommes respectueux et la terre ne nous permettra de rester que si nous vivons en équilibre avec elle. 'Ni'nii wila loo łagigyedm ada 'ni'nii sgüü dm waalm (C’est ce que les ancêtres ont fait et c’est ce que nous devons faire).»
Gyibaawm Laxha – David Robert Boxley

Des récits de création au droit de vivre dans un environnement propre

Dans les perspectives de nombreux peuples autochtones, la relation à la terre et aux ressources naturelles est indissociable de la spiritualité et des récits de création rappelant les accords passés avec les non humains. Cette relation est renforcée par l’apprentissage et la transmission de savoirs d’une génération à l’autre ainsi que par l’implication des peuples autochtones dans la protection de leurs droits fondamentaux. Les revendications autochtones pour la protection de leurs territoires et des écosystèmes ont été portées devant les tribunaux, grâce au développement de moyens juridiques. En Équateur, en Bolivie et en Nouvelle-Zélande, par exemple, l'activisme autochtone a contribué à la création d'un véritable phénomène juridique qui élargit le concept de droits humains en lui adjoignant la relation avec l’environnement. Ce nouveau cadre juridique implique la reconnaissance accrue du droit collectif de vivre dans un environnement propre, sain et durable.

Bien vivre sur et avec la Terre

Les principes de responsabilités réciproques entre les humains et les non humains sont au cœur du mode de vie autochtone. Leur origine réside dans des récits de création et leur pérennité repose sur la lutte pour la préservation du bien vivre sur la Terre avec toutes les formes de vie, un principe présent par exemple au sein du peuple anishinaabe en Amérique du Nord. La notion de bien vivre ou Sumak Kawsay en langue quechua figure dans les constitutions de l’Équateur et de la Bolivie depuis 2008 et 2009. Elle est revendiquée par de nombreux autres peuples autochtones. Les objets du quotidien, les créations artistiques et les chants rappellent les récits cosmogoniques nourriciers, comme la création du monde anishinaabe par Nanabozo ou l’origine du monde shuar par Arutam et Nunkuit.

Peintures aborigènes : du Temps du Rêve aux droits territoriaux

Pour les Aborigènes d’Australie, tous les traits du paysage, les trous d’eau, les rochers, les dunes, les îles et les constellations sont considérés comme les traces des actions des êtres ancestraux pendant le Temps du Rêve. À partir de 1976, avec la promulgation de l’Aboriginal Land Rights Act, le gouvernement fédéral reconnait aux Aborigènes le droit de revendiquer des terres inoccupées de la Couronne, à condition qu’ils puissent prouver leur lien avec le territoire en question. Les artistes participent aux revendications juridiques en peignant les récits de leur groupe. Les peintures servent de preuves cadastrales devant les tribunaux spécialisés traitant des revendications territoriales. L’acte de peindre renforce ainsi les droits patrimoniaux des Aborigènes sur leur territoire.

Apprendre à négocier avec les non humains en territoire inuit

De nombreux peuples autochtones entretiennent des relations étroites avec les animaux et les plantes. Selon certaines traditions, les rapports avec les entités animales reposent sur la négociation d’accords. Les humains et leurs partenaires non humains ont tous des droits et des responsabilités afin de maintenir leur entente sur la longue durée. La négociation répétée de ces accords assure une coexistence pacifique basée sur le respect et le bénéfice mutuel. Cette interdépendance entre entités humaines et non humaines est entretenue avec soin afin de maintenir une paix durable et des relations saines. Les récits inuit permettent de comprendre ces responsabilités réciproques. Certains récits témoignent de comportements acceptables et encouragés tandis que d’autres dépeignent des comportements inacceptables qui mènent, à terme, à une rupture dans les relations entre humains et non humains et menacent ainsi le devenir des humains.


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