IV. Faire une «enquête» sur l’alpage d’Orzival (Aout 1937)

Amoudruz ethnologue ?

Le travail d’«enquête» d’Amoudruz se situe entre ethnographie, collection et folklore. Sans en être tout à fait conscient, il rejoint les principales catégories de la monographie paysanne et de l’ethnographie des isolats sans jamais y aboutir pourtant totalement. Il lui manque l’aspect systématique.

Comme l’a rappelé Bernard Crettaz, Amoudruz a su interroger les techniques en décrivant la construction des chalets, des raccards et des écuries. Il aborda également la fonction des objets en s’intéressant aux boîtes et aux coffres et coffrets, aux lits et paillasses, aux tables, à l’éclairage et aux fourneaux en pierre ollaire, ou encore aux marques à pain et aux tabourets et chaises à traire.

Coffres. Comme l’indique Amoudruz dans ses papiers : «Si j’ai fait dans le Val d’Hérens une nombreuse récolte de coffrets, je ne m’explique la chose du fait que le pays a été peu remué par les antiquaires pour ce genre d’objets (qui commence même pas à les intéresser parce qu’ils sont en bois blanc et grossier et ceci est vrai pour tout le Valais). Du fait que le montagnard relègue au grenier mais ne détruit pas et qu’il y a eu peu de remue-ménage dans ces greniers, peu de déménagements qui auraient de suite provoqué la destruction de tous ces objets. Les mêmes familles habitent toujours les mêmes maisons».
Coffre-banc à habits (bois de noyer). Comme à son habitude, Amoudruz s’intéresse aux détails et au choix des décorations : «J’ai vu dans la même vallée le même sculpteur ayant exécuté la décoration de coffres avec le même motif mais passé d’une façon légère sur les uns tandis que sur d’autres la sculpture était passée avec un grand fini».
Coffres-bancs à habits. Amoudruz propose une nouvelle catégorisation de l’art populaire : «Il faut enlever de l’art populaire les coffres-bahuts exécutés par les nobles. Les grands personnages du Valais qui se sont fait exécuter de véritables pièces d’art par des spécialistes. Les bahuts qui tirent leur décoration des styles de mode à l’époque où ils ont été faits».
Coffre à dos d’âne. Amoudruz signale à son sujet : «On trouve dans la région de Vercorin toute une série de coffres formés d’un double toit. Ces coffres sont en arche. Ils sont généralement pas décorés ou très peu».
Sur la décoration des chaises à traire à Orzival, Amoudruz signale : «Parmi une trentaine que j’ai achetée, les plus anciennes sont datées de 1851. La sellette a la forme rectangulaire. Elles ont été faites par un nommé Zuffer Simond, vacher, elles sont signées S.Z.V. Les dessins sculptés en creux sont rehaussés de couleur».
Boîtes et coffrets
Boîtes et coffrets
Coffres et coffrets
Coffres et coffrets
Coffre-banc
Coffre à provisions-arche
Lits
Lits et paillasses
Tables
Tables
Tables
Tables
Pierre ollaire - Poêle en pierre ollaire
Pierre ollaire - Poêle en pierre ollaire
Pierre ollaire - Poêle en pierre ollaire
Construction des poches en pierre ollaire
Description et détails des décorations du fourneau chez Louis Antille
Décoration de poêles en pierre ollaire
Fourneaux en pierre ollaire, dit aussi «Giltstein» dans le Haut-Valais
Fourneaux en pierre ollaire

Dans ses enquêtes, il donna également de l’importance à la médecine traditionnelle, répertoriant les usages des plantes médicinales, tant pour les hommes que pour les animaux.

Diverses maladies du bétail et remèdes utilisés à Vercorin et dans le Val d’Anniviers

Il vit également l’importance des rythmes imposés aux habitants par les travaux des champs, le rapport aux animaux – et en premier la vache –, mais aussi la fabrication des produits de consommation courante, en particulier le beurre et le fromage. A chaque description, il précise les recettes qui, entre fromage mi-maigre ou gras, la caille et le sérac, demandent une préparation différente, des temps de cuisson adaptés, des manipulations précises. Autant de variantes qu’Amoudruz inscri tout en ajoutant, comme à son habitude, de nombreux dessins afin de mieux saisir la fonction des contenants dans la fabrication, ou encore le rôle joué par certains gestes et savoir-faire (Voir L’Arche perdue, en particulier p. 146-165 concernant Orzival et la fabrication du fromage).

Fabrication du fromage (Vercorin)
Fabrication du fromage gras à Orzival
Fabrication du fromage gras à Orzival (suite)
Fabrication du fromage (suite)
Fabrication du fromage (suite)
Fabrication du fromage - Le caillé
Fabrication du fromage - Le sérac
Fabrication du fromage - Le sérac. A Orzival le 24 et 25 aout 1937
Fabrication du fromage - Le sérac. A Orzival le 24 et 25 aout 1937 (suite)
Soin à donner au sérac
Fabrication du beurre
Fabrication du sérac

A cela s’ajoutent enfin des questionnements liés au culte des saints, aux superstitions ou à la séparation du profane et du sacré, qu’il envisage au travers de ses observations sur les dictons, les légendes, les rites et la religion populaire.

 

Les bricolages d’Amoudruz

Cette profonde réévaluation du travail d’enquête d’Amoudruz qui a permis de l’identifier à une recherche ethnographique classique, ne doit pas nous faire oublier que quelque chose résiste dans sa démarche. Amoudruz reste fondamentalement original dans sa manière d’observer Vercorin, de poser des questions à ses habitants. Il cultive le pas-de-côté méthodologique, aime à se présenter comme un franc-tireur, «bricole» autant ses méthodes que ses catégories, comme lorsque, sur l’alpage d’Orzival en août 1937, il fera physiquement l’expérience de l’enclavement, de la rudesse de ces îlots hors du monde, uniquement composés d’hommes qui entretiennent entre eux des relations traditionnelles et fortement hiérarchisées.

C’est ce microcosme qu’Amoudruz investit, cherchant à partager le style de vie des bergers et à expérimenter ce mélange d’esprit d’entraide et de strict respect de la propriété individuelle qui définit la vie en alpage. Son passage à Orzival va aussi lui donner l’occasion d’envisager de nouvelles hypothèses. Des suppositions qu’il s’agira pour lui d’étayer en collectant de nouveaux matériaux. Comment, par exemple, expliquer la présence d’une date sur certains outils ? A quoi sert-elle ? Que représente-t-elle ? :

«A mon avis, je crois qu’elles correspondent à la date où la maison du montagnard a été construite et que ces outils ont servi justement à cette construction, ce qui expliquerait que pour en garder le souvenir le même millésime a été fixé et sur la maison et sur l’outil – ceci n’est qu’une supposition». (Citation extraite du classeur Vercorin 1-243-11)

C’est de la même manière qu’il aborde le cas des charlettes. Une «jolie» coutume, comme la définit Amoudruz, qui consiste à décorer les vaches qui ont été les plus endurantes et prolifiques durant la durée de l’alpage. Mais pourquoi autant de différences dans les manières de faire ? :

«Dans le Val d’Hérens, vers le bas de la vallée, rive droite de la Borgne, la coutume de décorer les vaches le jour de la désalpe existe (…). Ces charlettes sont plus décorées que celles de la région de Vercorin (…). A Vernamiège, ce sont surtout des emblèmes religieux qui dominent dans la décoration».

Les charlettes - décoration des reines

Comme l’indiqua Eugène Pittard, le problème que se pose Amoudruz, en particulier avec l’art populaire alpestre, est celui des rapports existants entre l’invention et la spontanéité, entre l’imitation et le respect de la coutume.

 

La vie d’un alpage

Sur l’alpage d’Orzival, Amoudruz commence par photographier le paysage. Il cartographie la montagne, note la localisation des différentes habitations, des routes qui la sillonnent, identifie les liens vers l’extérieur qui ont une influence sur certaines pratiques de la communauté villageoise.

Orzival lui apparaît comme un lieu de communication et de passage. Passage des gens, des bêtes et des produits laitiers d’une vallée à l’autre, d’un alpage à un autre.

Plan schématique de l’alpage et de la montagne d’Orzival
Montagne d’Orzival, vue générale
Montagne d’Orzival, vue de la Rose
Vue d’Orzival depuis le plan de la Caille
Vue d’Orzival depuis le plan de la Caille
Vue d’Orzival prise sur le chemin
Vue d’Orzival à partir du col de la Brenta
Vue panoramique de Tracuit-d’en-bas et de Tracuit-d’en-haut
Vue de l’alpage et portrait du mayet et du pâtre

D’ailleurs, Amoudruz ne se cantonne pas à la description d’Orzival. Il l’associe aux alpages voisins de Tracuit-d’en-haut et de Tracuit-d’en-bas.

Sur le chemin d’Orzival, avec désignation de l’emplacement de Tracuit-d’en-haut et de Tracuit-d’en-bas
Vue de Tracuit-d’en-haut (certainement prise en août 1944, lors d’une seconde visite)
Organisation de Tracuit-d’en-haut
Vue de Tracuit

Pour chacun de ces alpages, il documente les «remointze», ces «chalets où l’on remue» quand on change de pâturage, ainsi que leurs principales fonctions.

A Tracuit-d’en-bas, il photographie la chapelle, datée de 1857 et qui est «dédiée à saint Antoine au dire de la tradition». Il s’intéresse au bâtiment principal, dit le «Chiesse», pour sa cave où est produit le fromage. A ces premiers bâtiments, s’ajoutent encore d’autres maisons : l’«Argechon» d’en haut et d’en bas, le «Planard» et le «Zardon». Sur ce pâturage, dont le maître s’appelle en 1937 Gilloud Barthelemy, venant de Saint Léonard, on peut y alper «selon Zufferey», précise Amoudruz, «96 vaches. 28 génisses avec elles et 54 à part. 40 brebis (autrefois) et 16 porcs du 20 juin au 25 septembre». D’après son propre décompte, en 1937, on y alpe 91 vaches, 16 cochons, 5 chèvres et 30 génisses.

La chapelle de Tracuit-d’en-bas (1937). Amoudruz ajoute dans sa description: «Il y a une messe à la chapelle dite par le curée de Vercorin le jour du mesurage du lait, actuellement (1936), le curé dit la messe le 1er jour de la montée de l’alpage. Il recevra pour les prémices soit le produit de la traite de tout le lait de ce jour-là transformé en fromage. Le curée bénit aussi à Tracuit-d’en-haut, où il y a une croix. Il va au chalet où il bénit pain et fromage».
Vue de la fromagerie et de la cave de Tracuit-d’en-bas
Vue du Chiesse de Tracuit-d’en-bas, avec désignation de la fromagerie et de la cave
Détail de la cave à fromage adossé au Chiesse de Tracuit-d’en-bas
Vue du Planard de Tracuit-d’en-bas
Dans la cave à sérac de Tracuit-d’en-bas
Plusieurs vues de la cave du Tracuit-d’en-bas, de la fromagerie et du grenier à sérac

Pour Tracuit-d’en-haut, montagne qui appartient à un consortage de Granges et de Chalais, on peut y alper jusqu’à 43 vaches et 9 cochons. On n’y fait, par contre, que du fromage mi-gras. Il n’y a qu’une «remointze», où l’on a disposé la cave à fromage et le grenier à sérac.

Sur les chemins d’Orzival, avec la désignation de Tracuit-d’en-haut
Vue de la cave de Tracuit-d’en-haut avec, au premier plan, les fromages recouverts de sel et trempant dans la cave à saumure
Vue de Tracuit-d’en-haut, de la fromagerie et des bergers
Vue de l’intérieur du Chiesse et de la cave de Tracuit-d’en-haut
Fromagerie de Tracuit-d’en-haut
Plan de l’intérieur du Chiesse et de la fromagerie de Tracuit-d’en-haut
Description des instruments disponibles à Tracuit-d’en-haut, en particulier le «collio» (couloir à lait), qui empêche les saletés de tomber dans le lait.
Le Chiesse de Tracuit-d’en-haut

Sur la montagne d’Orzival, on peut y estiver environ 110 vaches, 200 brebis, 15 porcs, et ce du 23 juin au 25 septembre. Il y a 5 «remointzes» : le «Chiesse», le «Choudir», l’«Arole», la «Rose» et le «Chouillot». Chacune de ces cabanes correspond à un moment précis de l’alpage : «On commence à alper par le Chiesse ou on reste 15 jours puis au Choudir 8 jours, l’Arole 8 jours, la Rose 1 mois le Chouillot 10 jours puis retour au Chiesse où il reste encore 20 jours».

L’arrivée à l’alpage d’Orzival d’Agnès Vocat-Amoudruz
Vue de deux habitations sur la montagne d’Orzival : le Chouillot et le Chiesse
Vues du Chiesse d’Orzival
Le Chiesse d’Orzival
Vue de la «remointze» le Chouillot

 

L’organisation de la montagne

C’est aussi l’organisation de l’alpage, situé à plus de 2000 mètres d’altitude, qu’Amoudruz décide de décrire, distinguant le nombre et la propriété des fonds, puis les différentes fonctions et les statuts de ceux qui y travaillent durant le moment de l’alpage.

Organisation de l’alpage d’Orzival: traite et mesurage du lait. Comme l’indique Amoudruz : «Avant de traire on masse les pis des vaches pour faire venir le lait. On nomme cela "abacher" (…). Vers la fin de la saison, quand la vache a peu de lait le temps pour abacher est aussi long que celui pour traire. Le berger enduit pour cela ses doigts de graisse stérilisée achetée à cet effet contenue dans un petit récipient en corne pendu à la ceinture du berger».
Organisation de l’alpage d’Orzival, nombre et appartenance des différents fonds
Organisation de la montagne d’Orzival et répartition des fonctions entre le pâtre, le villy, le berger des moutons, le mazot et le dollain
Organisation de la montagne d’Orzival : rôle et fonction du mesureur et du tachereur
Organisation de l’alpage d’Orzival : pâturages, transports des bêtes, sel, fumiers
Organisation de l’alpage d’Orzival : salaire. Amoudruz remarque un changement notable : «Autrefois on payait ceux qui s’occupaient de l’alpage en nature, actuellement en sachant la difficulté de vendre le fruit de la montagne ceux-ci demandent a être payés en espèces».

Les consortages d’alpages groupent des producteurs qui estivent leur cheptel sur les mêmes pâturages et travaillent leur lait en société. Un mode de production qui implique, à la fois, des règles précises de redistribution, des méthodes rationnelles de travail et une répartition fonctionnelle des tâches. D’ailleurs, les questions que se pose Amoudruz à ce sujet sont nombreuses : qui dirige les hommes ? Qui contrôle les bêtes ? Comment et quand s’effectue la traite ? Combien coûte un fonds (aussi appelé droit d’herbage) ? A qui appartiennent-ils ? Quand un paysan de la vallée peut-il alper ses bêtes ? Comment se passe l’unification de différents troupeaux en un seul ? Combien de vaches peuvent être nourries sur un fonds ? Combien et comment sont rétribués ceux qui gardent et s’occupent au quotidien des animaux ? Quelles sont les règles de vie ?

Pour y répondre, son enquête le pousse à envisager l’alpage sous un angle historique. Il transcrit plusieurs documents relatifs au fonctionnement d’Orzival, comme les Règles pour l’alpage d’Orzival de 1857 à 1872. Il en profite alors pour détailler les différents types de consortages du Val d’Anniviers, note par exemple que le Mayen de Santa Maria et de Lardebran appartient à la bourgeoisie de Chalais, alors que celui de la haute vallée de Rechy est sous la propriété de Vernamiège.

Tableau descriptif des différents alpages du Val d’Anniviers
Tableau descriptif des différents alpages du Val d’Anniviers

La montagne d’Orzival est sous le contrôle de deux procureurs, appelés le «mesureur» et le «tachereur». Deux autorités qui ont pour fonction d’organiser le travail du pâtre, du villy, du mazot, du vizier dont la fonction principal est de faire les courses dans la vallée, et du mieye, qui lui doit surtout aider à la traite. Des indications qu’Amoudruz ajoute régulièrement sur ses photographies.

Organisation de la montage et répartition des fonctions
Plusieurs vues de Tracuit-d’en-bas, de la fabrication du beurre, et des bergers

 

Formes et fonctions d’un alpage

On aurait le droit d’être sévère à l’égard de certaines recherches «folkloriques» qui le plus souvent se réduisent à une curiosité sentimentale, ou qui n’aboutissent qu’à une accumulation hétéroclite d’un matériel «archaïque». Ce n’est pas le cas avec Amoudruz, pour qui l’alpage est d’abord un ensemble d’activités, un «fait social total» pour reprendre l’expression désormais consacrée de Marcel Mauss. L’alpage manifeste tout à la fois une dimension économique, juridique, politique, religieuse et technique.

Aussi, et après le périple d’Orzival, la lecture que fera Amoudruz de la vie à Vercorin n’aura de cesse de se complexifier.

Il documentera avec attention les Prémices, ce «don», comme il l’appelle alors, qui est effectué le deuxième dimanche d’août et qui consiste en une bénédiction des produits laitiers du jour. Un moment de socialité incontournable durant lequel tous les acteurs de l’alpage sont présents en un seul lieu. Amoudruz pourra en profiter pour s’adresser à chacun d’eux, ensemble. C’est là aussi qu’il pourra, comme l’indiquent ses photographies, interroger des gestes et des mouvements qui émaillent le déroulement de la cérémonie, comme la bénédiction, mettant également à profit sa lecture de l’article où Remy Monnier : «Moeurs et coutumes d’Anniviers», Annales valaisannes : bulletin trimestriel de la Société d’histoire du Valais romand, 1935, vol. 2, n° 2, p. 381-384.

Les attitudes photographiées lors de la cérémonie sont encore figées. Les costumes défilent. Mais il est certain qu’Amoudruz s’aventure de plus en plus facilement hors de la sphère technique pour essayer de comprendre la vie de «ceux» de Vercorin.

«Il est de coutume que le jour des Prémices le curée invite les maîtres des alpages à un dîner chez lui ou sont consommés les fromages. Ces fromages sont décorés d’un calice fait avec une planche décorée que l’on presse sur le fromage».

Il ajoute, dans un début de comparaison :

«A Vissoye, où les Prémices prennent une importance beaucoup plus considérable, c’est une (série ?) de maîtres qui défilent, accompagnés d’aides qui déposent en fin de cérémonie une 50e de pièces de fromage dans les caves du curé».
Devant la cave du Chiesse, sortie des fromages «donnés» pour les Prémices
Prémices pour le curé de Vercorin. Détail des marques sur les fromages
Les Prémices à l’église de Vercorin - 1er dimanche août 1937. Avec la désignation des maîtres de Tracuit-d’en-bas et de Tracuit-d’en-haut
Les Prémices à l’église de Vercorin - 1er dimanche août 1937. Avec la désignation des maîtres de Tracuit-d’en-bas et de Tracuit-d’en-haut
Les Prémices à Orzival - Décoration du fromage
Description des Prémices : «Tous ces fromages sont décorés en creux grâce à des planchettes découpées d’ornements religieux. Calices. Cierges. La traite d’épreuve pour le calcul du produit de la montagne étant faite à Tracuit le 7eme jour, la traite du 3eme jour est cependant réservée pour les Prémices du côté de Vercorin (les jours des traites, les propriétaires montaient à l’alpage)».

Outre cette cérémonie, il interrogera les croyances, les superstitions, les présages ainsi que les pratiques de sorcellerie – encore très fortement ancrée à Vercorin –, mettant à profit les paroles d’Adrien Zuber, pâtre à l’alpage d’Orzival, ainsi que celles de Victor Christen, l’un des maîtres de l’alpage qui savait comment empêcher le lait de cailler !

Il analysera les processions, distinguant à chaque fois l’ordre de passage pour chacune des cérémonies, allant jusqu’à noter 14 niveaux distincts : en tête marche un enfant portant la croix des enfants, puis les enfants, puis la croix des hommes… jusqu’au clergé et enfin les hommes et les femmes qui n’appartiennent pas à la confrérie.

Photographie de l’église et des rues adjacentes de Vercorin lors d’une cérémonie ou d’une procession, sans doute pour les Prémices
Photographie de l’église et des rues adjacentes de Vercorin lors d’une cérémonie ou d’une procession, sans doute les Prémices

C’est de manière éco-systémique, surtout, qu’Amoudruz cherchera à caractériser les relations, nombreuses et mutuellement constitutives, qui s’établissent sur l’alpage entre l’homme et l’animal, passant ainsi, de manière beaucoup plus nette, de la description matérielle à l’interprétation des mentalités.

Vue de l’alpage avec la désignation des Reines de l’année 1937. Portrait avec la première reine de Maurice Chevey appelée Marquise
Vue de l’alpage avec désignation de la 1ère Reine de 1937
Vue de l’alpage avec désignation de la 1ère Reine
Décorations des vaches descendant de l’alpage
«Les vaches à l’alpage» : «Lorsque l’on monte les vaches à la montagne on frotte leur colliers-sonnettes avec de l’alpio (buisson), herbe qui doit les préserver du malheur, et on en met une petite branche à la boucle du collier. Cette herbe n’a pas été bénie à l’église comme cela se fait en d’autres endroits du Valais».
«Le follon ou la reva» : «On dit que la chose arrive par les grandes chaleurs lorsque le temps a été lourd et mauvais durant la nuit et au lever du soleil les vaches à ce moment semblent comme endormies sur place. Elles attrapaient comme une rêverie puis brusquement, comme un coup de fusil, la ruée dans les enclos et la fuite. C’est le follon ou la reva. C’est pour cela que les vachers craignent lorsque le troupeau rêve».
Appel du bétail : «Chaque région à sa façon d’appeler les vaches et rien n’est plus sensible à voir et à entendre que le pâtre lancer son cri dans le lointain et tout le troupeau d’une centaine de vaches s’ébranler et majestueusement se diriger vers lui. A Vercorin on crie von von von»...
Les cochons parqués au Chouillot. Comme l’ajoute Amoudruz dans une note : «Pour alper un cochon à Orzival il faut payer 7 francs, ceci pour n’importe qui (…). On élève le cochon pour être tué à 10 mois ou quand il fait le poids de 90 kg max. On s’arrange de faire vêler la truie en avril. Le dernier des naissances d’une truie se nomme le coganin».
Vues du Chiesse de Tracuit-d’en-haut
Les cochons parqués au Chouillot
Vue du Chouillot
Vue de Tracuit
Combat des reines
Combat des reines

Son analyse des quenouilles est de ce point de vue décisive puisqu’il s’agit à la fois de désigner des objets usuels, mais aussi des croyances et, plus encore, des usages, des traditions, et des mœurs :

«Dans le Chablais et le Faucigny, il n’y a pas d’objet qui dans la vie d’une femme ait joué un rôle aussi grand que la quenouille. A part son rôle d’outil, c’était l’objet où se rattachaient certaines coutumes et les souvenirs de sa vie. La femme la désirait belle et mettait un point d’honneur à en avoir une plus jolie que ses voisines. Comme au jour du mariage il est de coutume que le costume soit neuf, il fallait que la quenouille fût nouvelle. La femme voyait en elle une amie qui l’avait suivie à travers toute sa vie. Dans le petit grenier de bois dans le jardin où se serrent les richesses de la famille, ce n’est pas sans émotion que l’on découvre ces témoins de vie passée». (Voir «La quenouille», Genève, Le Rhone et les Alpes, p. 32-33)